origines de la franc maçonnerie

07 Les Statuts SCHAW (1598-1599)

(1) Présentation des documents


Gilbert Cédot 2005

Dans le cadre des grandes mais parfaitement légitimes - compte tenu de son glorieux passé - ambitions que notre V.M. a définies pour la R.L. William Preston, il m’a été assigné, outre la responsabilité et la fonction périlleuse de « Senior Warden » de la Loge la tâche très difficile de vous entretenir des « Statuts Shaw » ainsi que des-dites « Chartes St Clair », et ce pendant la durée de ce « cycle écossais » que nous entamons aujourd’hui.


Mais tout d’abord, pourquoi s’intéresser aux deux « Statuts Schaw », aux deux « Chartes St Clair » (1600-01 et 1627-28), auxquelles il est indispensable d’adjoindre en amont la lettre-décret « Copland d’Udoch » (1590), et en aval les « Statuts Falkland » (1636) ?

Et bien, en premier lieu, parce que ces six documents représentent, en Grande Bretagne, les premiers éléments identifiés - et incontestables - d’un modèle de structuration maçonnique normé, dépassant l’emprise habituelle de la simple loge de chantier, ou même dépassant le périmètre du bourg, car incluant des territoires, des régions, en fait l’ensemble du royaume d’Ecosse.? On peut, certes, en Angleterre, trouver trace de documents de « Métier » antérieurs - eux aussi parfaitement identifiés - notamment au milieu du XIVe siècle, du type, en 1370, des ordonnances de la cathédrale d’ York. Mais il s’agit là d’embryons de codes - je n’ose pas dire du travail - d’ailleurs très limités.? On peut également trouver - et c’est nettement plus intéressant car l’épilogue en sera très probablement la création de la Compagnie des Maçons de Londres - des règlements beaucoup plus élaborés comme ceux édictés en dans cette ville par le Maire et les Echevins, en 1356, suite à un conflit entre les tailleurs de pierres [Hewers] et les poseurs de pierres [Layers, Setters].

Cependant tous ces écrits, malgré parfois leur ambition affichée se situent toujours dans des contextes localisés – des terroirs.? Et puis, il y a, vous le savez tous, les célébrissimes « Ancients Devoirs », dont les premiers exemplaires connus, le « Régius », et le « Cooke », sont des manuscrits médiévaux qui datent du tout début du XVe siècle. D’autres « Ancients Devoirs », après révision suite à la Réforme protestante, comme le « Grand Lodge n°1 » de 1583, et une dizaine de manuscrits proches, sont également antérieurs ou contemporains aux écrits écossais.?

Outre le fait qu’ils ne sont pas substantiellement de même nature ces textes, à deux exceptions près mais datant de la fin du XVIIe siècle (Antiquity et Alnwick), ne peuvent être rattachés à aucun lieu précis, et on ignore tout de leur pratique réelle.?

La quasi totalité de ceux découverts à ce jour sont anglais, ou manifestement de source anglaise.? C’est le cas des premiers manuscrits écossais de ce type qui apparaissent à partir de la moitié - comme le m.s Kilwinning - ou du dernier quart du XVIIe siècle.? Mais un certain nombre d’éléments des textes que nous allons examiner peuvent permettre de penser que certaines copies de ces « Old Charges » étaient déjà connues en Ecosse à l’époque de notre étude.?

Revenons donc à ces six documents élaborés en moins d’un demi-siècle, et essayons de distinguer en quoi ils sont - chacun à leur manière - remarquables, voire fondateurs.?Ils le sont à trois niveaux :

Tout d’abord, en proposant dans les deux « Statuts Schaw » une réglementation de la profession de maçon « opératif », s’appliquant aux employeurs, aux salariés, et sous la houlette d’une organisation du métier.

Rien d’original, car globalement ces sortes de codes de conduite figurent déjà dans les « Old Charges » et autres règlements ! Oui, mais là il s’agit d’une réglementation élaborée pour des Loges maçonniques - pas des Guildes - et surtout ayant concrètement pour but d’être appliquée sur tout un territoire, l’Ecosse, réglementation dont on peut suivre directement les essais de réalisations - même partiels - dans les archives connues des 25 loges du royaume, identifiées par Stevenson, depuis 1599 jusqu’au début du XVIIIe siècle.

Ensuite en proposant dans les six textes - ce qui montre bien que ce projet a été le plus ardu à mettre en application :

Une véritable tentative d’organisation en loges permanentes et territoriales - ce qui a plutôt été une réussite - loges distinctes, j’insiste, pour leur écrasante majorité des Guildes des Métiers.

De véritable tentatives plus ou moins abouties de les hiérarchiser entre elles - ou ultérieurement de les organiser en compagnies plus ouvertes.

De véritables tentatives pour les couronner par une autorité suprême, un « Surveillant Général », ou bien par un « Patron » du Métier. Ce que réussiront pleinement à leur manière, les anglais environ un siècle plus tard !

Enfin en proposant pour la première fois dans les « Statuts Schaw » - toujours à l’échelon de tout le royaume d’Ecosse - au sein de ces loges d’un type nouveau, un mode interne d’organisation hiérarchique et fonctionnel à trois niveaux (un Surveillant ou Maître de Loge, des Compagnons ou Maîtres, des Apprentis-Entrés), mode d’organisation différent de celui des Guildes, j’insiste toujours, comportant notamment des formes particulières de progression - peut-être même déjà présentes dès l’admission, formes à caractères secrets, initiatiques - probablement déjà centrées sur la transmission du « mot de maçon » - voire même sur des enseignements plus ésotériques.

Évidemment, quand on touche à ces domaines, mais aussi au précédent, la relation avec la « Kirk », l’église presbytérienne, ne peut bien entendu être laissée sur le côté du chemin.

C’est sous la forme de ce plan à trois niveaux, et dans cet ordre que je vous propose de questionner cette partie du « cycle écossais » de « William Preston », en commençant donc par ouvrir une réflexion sur par les « Règlements du Métier ».? Nous allons donc essayer de nous immerger au cœur de la fraternité opérative… et le cas échéant, de ses éventuelles limites!

Tous les textes en lien avec cette partie sont contenus dans les « Statuts Schaw » de 1598.? En effet, les 14 paragraphes des deuxièmes Statuts, ceux de 1599, également élaborés par William Schaw - qui n’ont jamais été traduits en français - ne portent pas sur les règlements liés au « Métier », et seront donc examinés dans la cadre du traitement des parties suivantes.?

Le texte, daté du 28e jour de décembre 1598, s’intitule exactement « Statuts et Ordonnances que doivent observer tous les Maîtres Maçons de ce royaume, arrêtés par William Schaw, Maître des travaux [Maister of Wark] et Surveillant Général [Generall Wardene] dudit Métier.

Quinze articles - sur un total de 22 - sont consacrés à la réglementation du Métier, cette segmentation entre articles étant opérée par Stevenson pour une meilleure commodité de compréhension.? Je vais les regrouper globalement de la façon suivante :

Les articles 3, 4, et 21, qui concernent la relation des «Maîtres Maçons» avec les commanditaires, les propriétaires [awnar].? Les articles 1 (partiellement), 5, 6, 14,17, 19, 21, qui traitent de la relation entre Maîtres Maçons.? Les articles 9 (partiellement), 10, 11, 12, 15, 16, 19, qui traitent de leur relation avec les apprentis, aides [servands], et « cowans ».? Les articles 4, 5, 6, 9, 10, 15, 16, 17, 18, 19, (20, 21), qui traitent notamment des sanctions disciplinaires, en cas de manquements. L’article 22 qui traite de la destination des amendes.? L’article 18 qui traite de la sécurité.

Les articles 2 et 7 traitant de l’organisation ainsi que des pouvoirs de la loge - 20 et une partie du 21, traitant des rassemblements au delà des Loges - l’article 13, traitant de l’admission comme « Maître et Compagnon » - l’article 1 et une partie du 21, traitant des serments - seront évoqués dans les deux autres chapitres, en même temps que les Statuts Schaw de 1599, accompagnés d’autres textes, comme notamment les m.s. « Haughfoot ».

Quinze articles sont donc consacrés à la réglementation du « Métier » de maçon, et ceci peut paraître à la fois normal et surprenant.

Normal, parce que les « Old Charges » connus en Ecosse à cette époque contiennent pratiquement tous, à la suite immédiate de l’histoire légendaire du « Métier », un volet « règlements », comportant environ une trentaine de devoirs généraux et devoirs particuliers. Cependant, aucun document n’indique, en Angleterre, la moindre réelle application de ces règlements, d’ailleurs à consonances morales, religieuses, et surtout dépourvues en cas d’inobservation, de toutes sanctions. Ces « Devoirs », d’après la légende qui les introduit, ont été recueillis de part le monde à l’initiative du Prince Edwin, fils d’Athelstan, (roi saxon du milieu du Xe siècle) et complétés régulièrement par des « Maîtres et des Compagnons ». Ils étaient censés être lus une fois par an, lors des passages d’obligation - des réceptions - devant des assemblées mixtes, incluant maçons et autorités locales, dont par ailleurs on n’a jamais trouvé les moindres traces documentaires.

Surprenant parce qu’en Ecosse, le pouvoir réglementaire sur les métiers - quand il n’est pas exercé directement par le bourg, la municipalité, ou par un « laird » - un noble local - ou par quelqu’un de plus puissant - est délégué à une « Incorporation », une Guilde reconnue, bénéficiant d’une sorte de patente accordée par les autorités de la ville, une « Charter of Incorporation » intitulée le « Sceau des Causes ».

Alors pourquoi les « Statuts Schaw » de 1598 intègrent-ils ces articles ?

Et bien tout d’abord parce que dans certains lieux ou habitent ou bien travaillent des maçons, il n’y a pas de Guilde appropriée. De plus, le Sceau des Causes - « Seal of Cause » - n’est pas toujours évident à obtenir des autorités locales, surtout pour les métiers du bâtiment - qui étaient auparavant de mauvaise réputation, voire potentiellement porteurs de menaces - car s’étant notamment distingués le siècle précédent par des demandes appuyées d’augmentations des salaires, ainsi que par de nombreuses tentatives visant à obtenir un encadrement restrictif de la profession.

Ensuite parce que la juridiction de la Guilde, et donc l’application de ses règles, est toujours strictement limitée au bourg principal, ou exceptionnellement, par accord spécifique, à quelques autres, qui peuvent l’avoisiner. Or les maçons sont en grande partie, et surtout pendant les saisons propices à la construction, dispersés sur des territoires nettement plus importants.

Enfin parce que dans de nombreux cas, les Guildes sont mixtes, pouvant grouper les métiers du bâtiment, (maçons, charpentiers, vitriers, peintres, couvreurs…), mais parfois aussi d’autres métiers (tonneliers, boulangers, négociants, teinturiers….), et que les maçons, bien qu’à cette époque mieux considérés, y sont très souvent largement minoritaires.

Outre le souci politique de William Schaw de placer les nouvelles loges hors la juridiction de toutes ces autorités (le bourg, la guilde, les autres métiers) ce condensé de règles que vous lisez dans les « Statuts », si ceux-ci avaient été approuvés par le roi Jacques VI, aurait pu avoir force de loi dans toute l’Ecosse ! C’est peut-être une des raisons qui ont fait qu’ils n’ont jamais été revêtus du « sceau privé » !

Ces règles ont donc été arrêtées, fixées [sett doun] par William Schaw, avec le consentement [consent] d’un certain nombre de Maîtres, de toute évidence ceux de la loge d’Edimbourg, dont une partie étaient naturellement membres « maçons » de la Guilde des « Wrights and Masons », et à ce titre « Electeurs » de la Municipalité.

Les articles 3, 4, et 21 concernent justement d’ailleurs la relation de ces entrepreneurs d’ouvrages, comme indiqué à l’article 18 [Inte Priseris of Warkis], ces «Maîtres Maçons», avec les commanditaires, les propriétaires [awnaris].?Ils doivent être honnêtes vis à vis de ceux-ci, mais aussi fidèles et diligents à leur tâche. Ils doivent en outre se conduire avec droiture quelque soient leurs modes de rémunération - c’est à dire juste logés-nourris, payés à la tâche ou à la semaine. Ensuite, et c’est très important, il y a une obligation de compétence, quand un ouvrage [wark] est entrepris.? Enfin, lors d’assemblées, ils doivent prêter le serment solennel de ne rien cacher ni dissimuler des fautes ou manquements que tel homme [du Métier] aura pu commettre, à leur connaissance, envers les propriétaires des ouvrages dont il a la charge. En clair, un engagement de dénonciation !

Si les articles 3 et 4 visent la sauvegarde des intérêts des propriétaires, les articles 5 et 6, et toujours 21 tentent de protéger ceux des maçons-employeurs… vis à vis d’eux-mêmes :

Il ne peut être question de prendre l’ouvrage d’un autre (pour évidemment moins cher !) une fois que celui-ci a conclu un accord avec le commanditaire.

Pas question non plus de reprendre un ouvrage commencé par d’autres entrepreneurs si ceux-ci n’ont pas été payés.

Enfin, ils doivent également, lors des assemblées, prêter le serment solennel de ne rien cacher ni dissimuler des fautes ou manquements qu’ils auront pu commettre les uns envers les autres. Une obligation permanente de confession-autocritique, en quelque sorte !

Tout ceci en dit évidemment long sur l’attitude des propriétaires de l’époque, mais à l’inverse, aussi sur la volonté des entrepreneurs d’établir certains monopoles territoriaux… et en tout état de cause tout ceci en dit long sur la concurrence régnante.? Cette concurrence, on peut également la mesurer au niveau de l’article 19 leur interdisant de garder à travailler auprès d’eux un apprenti ou un servant « enfui », ce qui outre le préjudice lié aux sept ans de services dus, devait probablement permettre de contrer des pratiques visant à économiser l’enregistrement - payant - et la formation - longue par rapport aux autres métiers - d’ouvriers qualifiés.? Mais cette recherche de protection contre la concurrence, on la trouve également au niveau des maçons-employés vis à vis des maçons-employeurs, car il ne faut pas oublier que si les maçons-employeurs, membres de la Guilde, sont partie intégrante des loges, la grande majorité des membres est composée d’aides, de servants - ayant comme ces derniers le niveau, le grade de « Compagnons et Maîtres » - ou d’apprentis, pour ceux qui, du moins ont été « Entrés ».?

Elle est particulièrement visible dans les articles traitant de l’encadrement de l’apprentissage, et de l’attitude vis-à-vis des « Cowans ».? L’article 8 précise qu’un Maître ne pourra pas - sauf dérogation spéciale - prendre plus de trois apprentis pendant toute sa vie, ce qui permet en conséquence - sur un territoire - de fixer le nombre de maçons et d’éviter en cas de pénurie de travail une main-d’œuvre trop abondante, susceptible de casser les prix, ou dans le cas inverse - la concurrence étant restreinte et surtout auto-régulée - de pouvoir les augmenter (…boulangers en 1557, salaire minima fixé par la Guilde en 1691… p45 1ers FM). ?

L’article 14 précise qu’aucun Maître - il s’agit toujours là d’un maçon-employeur - ne pourra travailler sous l’autorité ou la direction d’un autre homme du Métier [Craftisman], par conséquent de s’employer comme Compagnon ou Servant, donc au détriment de cette catégorie d’ouvriers.? Dans le même sens, et vis à vis de la catégorie inférieure, l’article 16 précise qu’un Apprenti-Entré - pas un apprenti-enregistré, qui lui n’a pas ce type de droit - ne peut entreprendre pour un propriétaire une tâche ou un ouvrage d’une valeur supérieure à dix Livres - et qu’il ne peut le faire qu’une seule fois, sauf à obtenir par la suite autorisation expresse de la Loge du lieu.

Enfin, tous s’accordent contre la concurrence des « Cowans » - appelés aussi « Roughlayers » - ouvriers non qualifiés censés ne construire qu’en pierres sèches, sans mortier à chaux, et ne possédant pas le « Mot de Maçon ». L’article 15 est très clair : Aucun Maître ou Compagnon du Métier n’accueillera de Cowan pour travailler avec lui, ni n’enverra aucun de ses aides travailler avec des « Cowans ».

L’article 9 indique qu’aucun Maître ne prendra ni se s’attachera un Apprenti pour moins de sept ans. Il est d’ailleurs fréquent qu’un contrat d’apprentissage soit signé.? Certes l’Apprenti ne pourra pas être « servand » avant sept ans, c’est à dire mieux payé avant cette période, mais en contrepartie, il dispose de réels avantages, et d’une forme de sécurité :

Une qualification professionnelle assurée : L’article 10 précise qu’il ne sera permis à aucun Maître de vendre son Apprenti à un autre Maître, ni de se décharger à prix d’argent vis à vis, de l’Apprenti lui-même, des années d’apprentissage qu’il lui doit.

Son nom et le jour de sa réception sont dûment enregistrés [buikit] dans la Loge par son Maître, son employeur. (article 11)

Au moment ou il devient Apprenti « Entré » [enterit], avec ou sans l’existence d’une cérémonie particulière, il est à nouveau enregistré [buikit] dans la Loge, mais sous ce nouveau statut, qui lui donne en particulier le droit d’en être membre. (article 12)

Ayant servi [seruit] sept ans après la fin de son apprentissage, il pourra être fait [mak] « Frère et Compagnon du Métier » [brother and fallow in craft]. (article 9)

Enfin les apprentis enregistrés, les apprentis « Entrés », les servants, les « Compagnons et Maîtres » disposent, avec l’article 18, d’un véritable engagement de sécurité corporel de la part des maîtres, entrepreneurs d’ouvrages, qui devront bien veiller à ce que les échafaudages et les passerelles soient solidement installés et disposés, afin qu’aucune personne employée audit ouvrage ne soit blessée par suite de leur négligence et de leur incurie… sous peine de sanctions extrêmes.

Pour couronner l’édifice, et arbitrer les conflits inhérents à tout ce qui précède, l’article 17 indique que si quelque contestation, querelle ou dissension éclate parmi des maîtres, des aides [servands] ou des apprentis entrés – les commanditaires ne figurent évidemment pas dans la liste – que les parties en présence fassent connaître la cause de leur querelle aux Surveillant(s) et aux Diacre(s) de leur Loge dans un délai de 24 heures, sous peine d’amende, afin qu’ils puissent être réconciliés et mis d’accord, et que leur différend puisse être aplani par les dits Surveillants, Diacres, et Maîtres.? Là aussi, une sanction très sévère est prévue s’il advient que l’une des parties s’entête et s’obstine.

Les sanctions !? Elles sont omniprésentes ! Dans pas moins de 10 articles sur les 15 concernés !? Elles peuvent d’abord, de part l’article qui précède, conduire pour tous, à une exclusion temporaire de la Loge, avec tous les désagréments qui peuvent en résulter – à savoir en premier lieu la capacité à trouver du travail.

Elles peuvent être très sévères pour certains, comme les « Compagnons et Maîtres » par ailleurs entrepreneurs.

Ils peuvent :

Pour le restant de leurs jours être condamnés à travailler sous les ordres d’un autre Maître principal ayant charge d’œuvre. (article 18 sur la sécurité)

Etre condamnés à payer une amende du quart de la valeur de l’ouvrage, en cas d’incompétence, sans préjudice des dédommagements et compensations à payer aux propriétaires. (article 4)

De nombreuses amendes fixes peuvent également leur être imposées :

40 Livres possibles - forfaitaires - au titre du même article 4.

40 Livres en cas d’obtention d’un ouvrage déjà conclu avec un autre (article 5).

40 Livres en cas de reprise d’un ouvrage si les prédécesseurs n’ont pas été payés (article 6).

40 Livres en cas de rupture du contrat d’apprentissage (article 10).

40 Livres en cas de conservation à son service d’un apprenti ou d’un aide, d’un servand enfui (art.19).

20 Livres à chaque embauche de « Cowan » (article 15).

10 Livres en cas de non dénonciation des fautes commises entre eux, ou envers les propriétaires (article 21).

Ne sont pas non plus épargnés :

Les « Frères et Compagnons du Métier », c’est à dire les « Compagnons et Maître » s’ils ont été reçus à ce grade en contrevenant à l’article 9 (durée d’apprentissage de 7 ans, ou dispense accordée après contrôle de qualification). Il leur en coûtera alors 40 Livres, sans préjudice des peines qui pourront leur être appliquées par la Loge à laquelle ils appartiennent (article 9)

Les Apprentis « Entrés » qui se risqueraient à entreprendre pour leur compte une tâche d’une valeur supérieure à 10 Livres. Ils devront payer une amende de 20 Livres (article 16).

Pour avoir une idée de la valeur de la Livre, sachez qu’un mois de salaire d’un « journeymen », d’un aide, d’un Compagnon, représente à peine plus de 17 Livres.? A titre d’autre exemple, les frais d’adhésion à la corporation de Mary’s Chapel, permettant par ailleurs de devenir Electeur sont de 104 Livres, soit 6 mois de salaire - et à temps plein, ce qui est rarement le cas !

Selon l’article 1 : « Ils seront sincères les uns envers les autres et vivront ensemble dans la charité comme étant devenus par serment Frères et Compagnons du Métier ».? Et si ces intentions louables n’étaient pas forcément toujours suivies d’effets, nos frères avaient au moins la consolation minima de voir qu’au moins, toutes les amendes déplorablement infligées et perçues (article 22) étaient quand même distribuées « ad pios usus » - dans des buts charitables - selon la conscience et les avis des Surveillants, Diacres, et Maîtres des Loges…?

(2) Les Règlements du Métier


Gilbert Cédot Mars 2006

Pour mieux cerner les préoccupations et contraintes « opératives » - de cette fin de 16e siècle et pendant ce 17e siècle je vous propose :

D’essayer de dimensionner les quinze articles présentés, ainsi qu’un 16e, figurant dans les statuts de 1599 - toujours ceux portant sur la réglementation du « Métier » - dans un corpus plus vaste de règles, dont certaines les ont peut-être par ailleurs inspirées.

De le faire en reprenant certains textes antérieurs, écossais et anglais.

D’essayer d’en montrer les réalités - inégales - d’application.

Cette méthode implique une prudence méthodologique préalable, et même un sérieux avertissement : ?Comparer, y compris dans un cadre relativement limité au niveau des lieux et de l’époque, est toujours un exercice hasardeux et risqué… En particulier en matière de maçonnerie - surtout britannique, et antérieure au 18e siècle.

Si les quinze articles des « Statuts Schaw » s’appliquent incontestablement à des loges de maçons organisées - en ce domaine les premières connues :

Aucun règlement de métier « maçonnique » écossais, c’est à dire émanant de loges même non organisées, n’est véritablement identifié avant les « Statuts Schaw ». En Angleterre, les « Old Charges » répertoriées depuis les dernières années du 14e siècle n’ont pu, jusqu’au 18e siècle, être associées à des loges, ni même géographiquement localisées de façon précises. Certes classifiées dès 1888 par Begemann, puis Mac Léod en une dizaine « familles », elles-mêmes divisées en branches, elles montrent avant tout des sensibilités et des pratiques diverses. Et puis classification ne signifie en rien schéma ou même lien pyramidal. En l’occurrence, la classification opérée révèle surtout une maçonnerie des « terroirs ».

On peut par contre trouver depuis le Moyen Age, voire au delà, et également dans toute l’Europe des documents réglementant le métier et la vie des maçons - mais pas seulement eux - au travers de Guildes, de Corporations, de Confréries relativement connues…Des documents par conséquent élaborés dans des circonstances et des contextes très différents les uns des autres.

Vouloir synthétiser l’ensemble relèverait - outre l’énorme difficulté rencontrée - d’une grande témérité, et surtout, probablement aboutirait à une absurdité. Il est cependant évident que certains règlements de Guildes anglaises - et naturellement écossaises - présentent des proximités immédiates avec les seize articles « Schaw ».?Quand aux « Règlements de métier » figurant dans les « Old Charges », en dépit de quelques différences et des évolutions identifiables, ils présentent des constantes, des continuités certaines - parfois un vrai fil rouge - permettant malgré tout des comparaisons.

C’est pourquoi - en regard avec la partie « Règlements » des « Statuts Schaw » - je vais essentiellement me limiter à trois textes :

Le « Sceau des Causes », charte de la Corporation des « Wrights and Masons », des Charpentiers et Maçons d’Edimbourg, datant de 1475, ancêtre probable de cette partie des « Statuts ».

Un autre texte source, proche des « Statuts », même s’il est plus éloigné dans l’espace et dans le temps, à savoir le règlement pour le métier des maçons de Londres, arrêté en 1356 - texte qui a probablement été le point de départ de la création, vers 1376, de la Compagnie des Maçons de Londres, dont l’existence est attestée « officiellement » par son « rôle d’arme » émis en 1472, Compagnie dont Bernard Hommery vient magnifiquement de montrer le lien « héraldique » surprenant avec la Guilde des « Wrights and Masons » d’Edimbourg… du moins au niveau des Charpentiers.

Pour les « Old Charges », puisque William Schaw s’y réfère (sans cependant les citer), outre les extraits - reproduits par Stevenson - du M.s. Kilwinning, connu en Ecosse dès le milieu du 17e siècle, mon texte de référence sera le M.s. « Grand Lodge » datant de 1583, et son ancêtre, le D.a., reconstitué par Mac Léod - complété par le Dumfries n°4 (1710), intéressant parce qu’ « écossisé », le tout agrémenté de quelques retours puisés dans le Regius et le Cooke.

Avant de tenter d’opérer des comparaisons ou des rapprochements, pour entrevoir les conditions de travail, et même de vie, d’un maçon opératif, une dernière remarque préalable me semble importante. Elle porte sur la nature des documents, et sur l’identité de ceux qui ont élaboré et promulgué ces règles. Les Statuts de 1598 été fixés [sett doun] par William Schaw, avec le consentement [consent] d’un certain nombre de Maîtres de la loge d’Edimbourg, qui les signent, « s’engagent et s’obligent à leur obéir fidèlement ».? Les termes « fixés », et « consentement » sont essentiels, car constitutifs d’un point commun à tous les textes que je viens de citer, à deux niveaux:

Ils ont été arrêtés par des autorités civiles commanditaires de travaux importants et elles-mêmes gros employeurs.

Ils ont de façon évidente fait l’objet de négociations.

Je rappelle que William Schaw était Maître des Travaux du roi Jacques VI. A ce titre, il était le représentant du plus gros commanditaire et employeur d’Ecosse !? Les règlements de 1356 ont été fixés sous l’autorité de Simon Fraunceys, maire de la cité de Londres, avec l’assentiment des échevins et des shérifs - suite à un conflit entre « Hewers », maçons tailleurs de pierre, et « Layers » « ou Setters », maçons bâtisseurs - après consultation de douze « prud’hommes », six par métier.? Le « Sceau des Causes » a été accordé en 1475 aux « Wrights and Masons » par le Prévost, le Bailly, et le doyen des Guildes d’Edimbourg sur proposition [« desiring our license consent and assent of certain statutes and rules made among themselves…»] des « artisans de la maçonnerie et de la charpenterie ».?

Quand aux « devoirs » figurant dans les « Old Charges », dès les versions du 17e siècle, ils ont été « donnés » par le mythique prince Edwin lors de l’assemblée d’York, après consultation de « tous les maçons, jeunes et vieux, qui auraient en leur possession quelque écrit, ou quelque connaissance des devoirs et des coutumes qui avaient été établies auparavant dans ce pays ou dans tout autre ».? Ce qui est intéressant, c’est que derrière la partie « affichée » des chartes officielles ou légendaires, on peut lire en filigramme une dynamique de rapports sociaux - parfois de rapports de force - aboutissant à des compromis autour du contrôle de la profession - les modes de rémunérations et les salaires constituant un enjeu majeur pour les uns et pour les autres.? Il en découle :

D’un côté des tentatives pour encadrer le mieux possible - en particulier parmi les métiers - ceux du bâtiment, traditionnellement revendicatifs :

En Angleterre, en 1425, sous Henry VI, un acte du Parlement interdit les assemblées de maçons, car elles demandaient - même de façon plutôt virulente - des augmentations de salaires.

Une loi votée en 1427 en Ecosse vise à imposer comme Surveillants des Métiers, dans les bourgs des « Conseils », et en zone rurale, des « barons »… mais à priori, elle n’a jamais pu être réellement appliquée.

La mise en place de « Sceaux des Causes » - à l’origine un sceau de justice - pour autoriser l’existence d’une Guilde, lui accorder certains privilèges, à des conditions définies dans le document permettant aux autorités du bourg d’en assurer un contrôle.

Il en découle la réapparition, validée par le roi Jacques VI, en Ecosse, du principe de Surveillants régionaux - au moins un en 1590 - puis les prétentions de soi-disant « Patrons du métier », eux mêmes par ailleurs parties prenantes (commanditaires)… et très intéressés financièrement (taxes, amendes..).

Dans le récit légendaire du « Regius» - même si la mention disparaît après – la tenue d’assemblées réglementant le métier tenues (ou censées l’être) en présence de notabilités : Shérifs, maires, chevaliers, qui, accompagnés de « grands bourgeois de la ville… siégèrent sans désemparer pour fixer un statut à ces maçons… leur recherches produisirent quinze articles».

De l’autre des tentatives de mise en place d’organisations corporatistes diverses, certaines non reconnues, d’autres contrôlées, comme les Guildes - la contrepartie en étant le bénéfice d’avantages - puis par les maçons en particulier, de loges à priori mois directement contrôlées, tentant également de cadrer la profession, pour maintenir sa réputation de qualité, mais aussi en réguler la population et les possibilités d’accès.



Ces organisations ne peuvent cependant - même pour la partie « Métier » - pourtant pas être assimilées à des syndicats, au sens moderne du terme, avec une séparation nette (quoique aujourd’hui avec les fonds de pension !) entre employeurs, salariés… et clients.

Il y a ambiguïté… La Guilde est dirigée par des Maîtres/employeurs. Mais eux-mêmes sont électeurs et parfois membres (notamment le Diacre) du conseil du bourg, grand commanditaire de travaux. D’autres commanditaires encore plus importants, les grands seigneurs et surtout le Roi peuvent y avoir également leur représentant - William Schaw, Maître des Travaux du Roi, est cité comme membre de la Guilde des « Wrights and Masons » d’Edimbourg.

Même au sein des loges « Schaw », si les « apprentis-entrés » sont incontestablement des salariés, les « compagnons et maîtres » sont - dans le civil, si j’ose dire - partagés entre salariés (servands, bound servands), et employeurs aux commandes de la Guilde ! De plus le Diacre maçon de la Guilde fait souvent partie de la Loge. A Edimbourg c’est même lui qui la préside.

La résultante de tout cela se traduit par toute une série de compromis que sont les devoirs, statuts, règlements, qu’on pourrait d’une certaine façon assimiler à des sortes de conventions collectives élargies, c’est à dire validées par l’approbation de l’autorité civile.

(3) La Place de Dieu dans les Statuts

Gilbert Cédot Juin 2006.

Quand on lit et relit les « Statuts Schaw », on constate que dès les trois premiers articles, sont définies tout un ensemble d’obligations morales qui sont censées s’imposer à « tous les maîtres maçons » du « royaume », telles que la sincérité, l’obéissance, l’honnêteté, la fidélité, la diligence, la droiture… assorties en plus, à la fin, au 21e article, d’une septième qualité - si j’ose dire - à savoir la non dissimulation - en fait la délation.

Ils observeront et garderont toutes les ordonnances précédemment arrêtées, concernant les privilèges de leur métier, par leurs prédécesseurs de bonne mémoire, et en particulier ils seront sincères les uns envers les autres et vivront ensemble dans la charité comme étant devenus par serment frères et compagnons [du] métier. (Schaw/1)

Ils obéiront à leurs surveillants, diacres et maîtres en tout ce qui concerne leur métier. (Schaw/2)

Ils seront honnêtes, fidèles et diligents à leur tâche, et ils se conduiront avec droiture envers les maîtres [des ouvrages] ou propriétaires des ouvrages qu’ils entreprendront, qu’ils soient payés à la tâche, ou logés et nourris, ou payés à la semaine. (Shaw/3)

Que des obligations morales figurent en début de ce type de document n’est pas en soi une nouveauté !?Mais cependant, même si la charité est mentionnée, et si référence est faite aux «ordonnances précédemment arrêtées par les prédécesseurs de bonne mémoire», d’emblée pour un texte constitutif de cette importance, saute aux yeux un manque évident, en terme de loyauté, de fidélité, d’obéissance : Dieu n’est pas cité !

Etonnant !? Car même dans des textes strictement réglementaires, déjà évoqués en référence, comme par exemple le « Seal of Cause to the Wrights and Masons» d’Edimbourg de 1475 - donc antérieur à la réforme protestante - le préambule de la dizaine d’articles indique à propos des « dits statuts et règlements et après avoir délibéré, nous les avons trouvé bons et agréables à Dieu et aux hommes », « lovable both to God and man ».? Encore un siècle auparavant, les ordonnances de 1370 de la cathédrale d’York évoquaient Dieu, même si c’était sur un mode punitif et sous forme d’anathème : « Et quiconque contreviendra à cette ordonnance et la violera, contre la volonté du chapitre, subira la malédiction de Dieu et de Saint Pierre. »

Dans les premiers « Old Charges » connus, le Regius et le Cooke, textes majeurs à dimension plus qu’équivalente aux « Statuts », les fidélités à Dieu figurent en tout premier point dans la partie dite « complémentaire » des règlements du « Métier » :

« …celui qui veut connaître ce métier et en embrasser l’état doit aimer sans cesse Dieu et la Sainte Eglise… » (Regius. Comp.1)

« …qui désire embrasser l’état de l’art en question doit principalement aimer Dieu et la Sainte Eglise et tous les Saints… » (Cooke. Comp.1)

Les textes anglais ou d’inspiration anglaise « Old Charges » postérieurs à la Réforme les inscrivent immédiatement en tout début des règlements, assortis des commentaires appropriés de l’époque :

«… vous devez être des hommes fidèles à Dieu et à la Sainte Eglise ; et que vous n’usiez ni d’erreur ni d’hérésie en votre entendement et jugement» (Grand Lodge/1)

« …que Dieu vous soit en aide, et [le souci de] votre salut éternel, et par ce livre qui est dans votre main, en votre pouvoir. Amen, ainsi soit-il » (Grand Lodge Devoirs Particuliers/20)

« …vous servirez le vrai Dieu et vous observerez ses préceptes en général, et particulièrement les dix commandements remis à Moïse sur le mont Sinaï ainsi que vous les trouverez exposés en entier sur le pavé du temple. » (Dumfries/1)

« Vous serez fidèle et constant envers la sainte église catholique [il s’agit de l’église anglicane qui s’affirme « catholique »] et vous fuirez, à votre connaissance, toute hérésie, schisme ou erreur. »

Même si l’esprit des « Statuts Schaw » de 1598 se rattache beaucoup plus à des ordonnances de Guildes - s’attachant comme elles à définir des règlements de métier propres aux maçons, avec naturellement en plus une dimension organisationnelle novatrice - qu’aux textes des « Ancients Devoirs » même remaniés par le protestantisme, comment ceux-ci ont-ils pu ne pas évoquer la dimension divine, voire invoquer la protection divine ?

C’est une première énigme…

En 1599 paraissent les seconds « Statuts », très probablement liés (suite aux premiers Statuts) en partie à des plaintes et revendications de la loge de Kilwinning.? A cette occasion, William Schaw inscrit ce qui paraît être un certain nombre de manques ou d’oublis au niveau des statuts de 1598, avec en premier lieu, l’intégration - en comparaison massive - non pas curieusement de références à Dieu ou à la religion mais… aux autorités religieuses !

Les Surveillants de toutes les Loges vont devoir rendre compte aux « Presbyteryes » de leurs comtés des offenses commises par les maçons de leur loge (point 4). Le Surveillant et le Diacre de la loge de « Kilwynning » vont être tenus de faire respecter l’obéissance à l’église (kirk craft counsall) et au métier (point 7). Le zèle ira même jusqu’à préciser que les élections (point1), les admissions (point 9), les banquets (9) sont censés se tenir à l’intérieur de l’église de « Kilwynning » !

C’est une deuxième énigme…

Pourquoi tout d’abord une absence totale - qui ne peut être involontaire - de références religieuses, suivie un an après d’une acceptation aussi brusque… d’un contrôle de l’église ??Ce qui pose en bonne logique la question suivante : Comment celle-ci a-t-elle considéré les loges « Schaw » au moment de leur création ? Etait-elle informée de leur existence, comme semblent le suggérer les « Statuts » de 1599 ? Est-ce elle qui en a exigé ce type de « contrôle » ??Aucun document d’origine religieuse ne vient répondre à cette question.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là …

Pendant les cinquante années qui suivent, l’église va continuer à être muette sur les loges « Schaw ». Et passé ce délai, elle ne va toujours pas s’intéresser aux loges, mais… au « Mot de Maçon » !

Déjà, dans les années 1630, un prédicateur de Perth, c’est à dire un assistant au ministre de sa paroisse, Henry Adamson (par ailleurs maître de l’école de chant) à propos de sa certitude que le pont de la rivière Tay (11 arches, construit par le maçon John Mylne) emporté par une inondation sera reconstruit - évoquait le « Mot de Maçon », le mêlant avec le phénomène « Rose-Croix et la prédication ».

En 1649, la question du « Mot de Maçon » est soulevée à l’assemblée générale de l’église d’Ecosse, qui n’arrive pas à se faire une opinion sur sa compatibilité avec « la vraie religion », et demande l’avis des « presbytères », c’est à dire des assemblées d’Anciens.? La réponse n’est malheureusement pas connue.

En 1652, l’étude du problème posé par James Ainslie, candidat au « Ministère » de la paroisse de Minto, qui connaît le Mot de Maçon, prend une année pleine, passe de presbytère en presbytère, et remonte jusqu’au Synode.? Et ce qui est intéressant, c’est ce que répond à cette demande le presbytère de Kelso :?« Que d’après leur jugement, il n’y avait ni péché ni scandale dans ce mot parce que dans les temps les plus purs de cette église [a priori donc avant 1600, et l’établissement de l’épiscopat par Jacques VI], des maçons possédant le mot avaient été ministres, que des maçons et des hommes possédant ce mot ont été et sont de nos jours des anciens de nos assemblées, et de nombreux professeurs possédant ce mot sont journellement admis aux sacrements ».? James Ainslie - homme possédant donc le Mot de Maçon - finit au bout du compte par être accepté comme Pasteur de Minto.?En 1663, dans un sermon, William Guthrie, pasteur presbytérien de la paroisse de Fenwick, évoquant la façon dont le Christ fût [ou sera] reconnu par son peuple, la compare avec le « Mot de Maçon ».

En 1691, Robert Kirk, pasteur d’Aberfoyle, dans le Perthshire, publie un traité sur le surnaturel « The secret common wealth » où il explique tout ce qu’il en sait.

En 1696, Alexander Telfair, ministre d’une paroisse d’Edimbourg, écrit dans une brochure intitulée : « Relation véridique d’une apparition, des manifestations et des actes d’un esprit qui hantait la maison d’Andrew Mackie (…) dans la paroisse de Rerrick, intendance (stewardry) de Kirkendbright, en Ecosse, en 1695 » : « Ledit Andrew Mackie étant maçon de métier, on avance que, lorsqu’il a reçu le mot du maçon, il a voué son premier enfant au diable. Mais je sais de source sûre qu’il n’a jamais reçu ce mot, et qu’il ne sait pas ce que c’est. »

L’église ne se préoccupe donc toujours pas des loges « Schaw » mais du « Mot de Maçon ».? Et même à ce propos, il est possible de constater, que d’une certaine façon, elle semble le considérer jusqu’à la fin du siècle - et au-delà - du moins en Ecosse… avec une certaine neutralité, avec des interrogations certes, mais à conclusions plutôt positives… voire même avec une certaine sympathie, puisqu’il qu’il est dédouané de tout rapprochement avec le diable et la sorcellerie, et qu’il est même considéré comme possible… d’être admis pasteur en le possédant.


C’est la troisième énigme…

Pour tenter de mieux cerner ces énigmes, et essayer d’avancer dans le dossier, il est maintenant nécessaire de décrire - sommairement - la nature et les agissements de l’église écossaise durant cette période.

L’Ecosse est devenue protestante depuis le milieu du 17e siècle. Cette conversion s’est opérée dans la douleur.? En 1543, des hommes sont pendus pour avoir blasphémés pendant la messe. En 1546 un prédicateur ami de Calvin est arrêté et brûlé vif.? Circule surtout le récit de l’exécution d’une pauvre femme condamnée à mort, car ayant refusé d’invoquer la vierge Marie pendant son accouchement, et donnant une dernière fois le sein à son bébé avant d’être noyée par le bourreau.? Marie de Guise, la régente du royaume, est honnie, le rite catholique voué aux gémonies ! Voici à titre d’exemple ce qu’en écrit John Knox, principal initiateur de la Réforme écossaise, à l’occasion, en 1558, de la procession de la fête de St Giles, à Edimbourg : « Prêtres, frères, chanoines et papistes corrompus, avec tambourins et trompettes, bannières et cornemuses, et qui était là pour mener la bande : La reine régente en personne, avec ses tonsurés ». ?

En 1560, après dix siècles de catholicisme, le parlement écossais proclame une « Confession de foi » calviniste, avec interdiction de célébrer la messe, bannissement des rituels dans le culte, abandon des « superstitions » au sein de l’église - plus tard adoption d’un « livre de discipline » liturgique - et bien sûr rupture avec le Pape !?Il ne s’agit pas de n’importe quel protestantisme ! C’est un « presbytérianisme » à tendance exaltée. La « Kirk » se considère comme « messagère de Dieu ».

En 1581, elle n’hésite pas à excommunier l’archevêque de Glasgow, et à le faire chasser sous les huées de sa cathédrale par une pluie d’œufs pourris…?Cette « Kirk » intransigeante sera en permanence combattue par les souverains écossais y compris protestants comme Jacques VI, Charles 1er, Charles II… et même par Cromwell… qui lutteront contre elle pour affermir l’établissement d’un système épiscopalien. Jacques VI tentera de mettre en place des pratiques « anglicanes », comme celles maintenues par Elisabeth I en Angleterre.

Par exemple, il interdira aux « Presbytères » de se réunir sans autorisation royale, et affirmera notamment l’autorité des évêques « successeurs des apôtres ». Dans la mémoire presbytérienne, ces mesures seront appelées les « Black Acts » !? La « Kirk », en 1592, sous l’influence d’un digne successeur de John Knox, Andrew Melville, ripostera en obtenant du Parlement une « loi pour la liberté du Christ » abolissant ces « lois noires », supprimant la dignité épiscopalienne et autorisant à nouveau les presbytères à s’organiser librement sans nécessité d’autorisation royale !? Mais en 1597, Jacques VI arrivera à rétablir les évêques ainsi que leur droit de vote au Parlement.? Le conflit perdure quand il devient roi Angleterre : En 1606, il fait bannir des pasteurs pour délit d’assemblée générale non autorisée, dont Andrew Melville, et John Welsh (gendre de Knox) qui n’hésite d’ailleurs pas à le traiter de « possédé du démon ».? Lors de sa visite en Ecosse, en 1617… Jacques VI doit se plier à des compromis : Il doit enlever de la chapelle royale les statues des prophètes qu’il avait fait remettre … mais arrive à maintenir - à la façon anglaise - l’agenouillement pour la communion.? Plus tard, il fait rétablir les doyens et les chapitres cathédraux.?

Enfin, en 1619/1621, après - dans un contexte plus favorable - acceptation (par 86 voix contre 41) par l’assemblée des « Presbytères », il fait adopter par le Parlement les « cinq articles de Perth », dont l’agenouillement obligatoire pour la communion et l’observance des fêtes du calendrier liturgique. Le baptême et la communion en privé deviennent également licites en cas d’urgence…

Les relations ne vont pas s’arranger avec ses successeurs !? Jusqu’en 1690, la « Kirk » va en permanence, de combat en combat, se comporter en véritable contre-pouvoir vis-à-vis des autorités.? Elle sera notamment un acteur essentiel - suite à l’imposition en Ecosse par Charles 1er, en 1636, du « Livre de Prière en commun » (Book of Common Prayer) de l’église anglicane - de la constitution du « National Covenant » qui aboutira en Angleterre à la « Grande Rébellion » et, en 1649, à l’exécution du roi Charles 1er.? Elle disposera pratiquement de tous les pouvoirs entre 1645 et 1650, au moment ou le Parlement, sous l’autorité du Comte d’Argyll (le roi Charles II étant de fait sous tutelle), dirigera le pays.

C’est la période dite du « Règne des Saints », où le puritanisme des mœurs presbytériennes amène une multiplication de procès pour adultère, fornication, impiété, ivrognerie, blasphème, sorcellerie… C’est la dictature de l’austérité, les mœurs sont normalisées, les confessions publiques ordonnées aux pêcheurs, et c’est quasiment l’interdiction de tous les divertissements…? Mais en 1651, Cromwell gouverne l’Ecosse (avec Monck), et la « Kirk » est mise au pas : Assemblées générales interdites, réunions des presbytères autorisées uniquement sur des problématiques internes… une époque que les pasteurs qualifient d’ailleurs de : « Captivité de Babylone ».? Pire, en 1662, le roi Charles II, revenu sur le trône, rétablit l’épiscopat, les presbytères et synodes ne pouvant désormais se réunir qu’avec l’autorisation des évêques, qui vont par ailleurs pouvoir nommer les pasteurs, comme pourront le faire également les seigneurs dans les paroisses leur appartenant (droit supprimé en 1647).? Un serment de fidélité aux nouvelles institutions est exigé : Un tiers des pasteurs refuseront et seront remplacés. L’ offensive presbytérienne reprend alors immédiatement : Des « Conventicules » (réunions sauvages de fidèles encadrées par les pasteurs démis de leur fonction) se multiplient, et sont suivies par des insurrections armées, qui entraînent elles-mêmes des répressions…

C’est, en 1679 et 1680, la guerre des « Cameroniens », avec la « Proclamation et témoignage du véritable parti presbytérien d’Ecosse »… suivie évidemment de la répression ad hoc.? Après un dernier combat contre le catholique Jacques VII-II et sa tentative de faire voter une loi de tolérance envers les « papistes », - enfin en 1690, sous le règne de Guillaume II - un règlement du Parlement (the Settlement), accepté par l’ensemble des protagonistes met fin au conflit religieux de plus d’un siècle entre presbytériens et épiscopaliens !

Après ce bref rappel du contexte religieux et politique - pour une grande partie du siècle un contexte d’intolérance et de guerres civiles - pouvons-nous maintenant trouver des éléments d’explication à nos énigmes ?

Il est temps de convoquer pour cela - comme éminent expert - le professeur Stevenson.

Quelle est son hypothèse ?

Pour lui, l’instauration du protestantisme a entraîné la perte de parties démonstratives profondément ancrées dans la dimension religieuse (qui était basée sur la doctrine - désormais interdite - du purgatoire) des « Guildes-Confréries » : Suppression des messes pour le salut du disparu, de la fête du Saint, des processions en livrées, avec bannières… Tout juste reste toléré un emplacement commun à l’intérieur de l’église !

Au cours des deux générations qui suivent cette instauration, se crée dans un métier particulier - celui de maçon - une organisation qui justement développe des rituels et des cérémonies. La « Kirk » aurait accepté cette nouvelle forme d’organisation comme, en quelque sorte, une compensation, un exutoire à ce désormais « manque spirituel » au niveau des Guildes. Maïs elle aurait en contrepartie exigé pour tolérer ce qu’elle considère comme des résidus de superstition :

Un système clairement situé au sein de l’église presbytérienne (Statuts de 1599), mais vidé de tout

élément apparent de religion.

Une connaissance des rituels et des secrets des maçons.

William Schaw aurait pu consulter quelques ministres presbytériens influents, les initiant même au « Mot de Maçon ». Il en résulterait que l’église n’avait donc pas besoin de persécuter les loges, car elle savait qu’elles ne représentaient pas une menace pour elle, celles-ci pouvant en quelque sorte être considérées comme des « fraternités religieuses sans religion ».

Enfin, 50 ans plus tard, une nouvelle génération de presbytériens zélés du « Kirk Party », dans le contexte politique et religieux du milieu du 17e siècle, a eu quelques doutes au sujet du « Mot de Maçon », mais les « Anciens » leur ont tout expliqué, et ont eu gain de cause.

Essayons maintenant d’examiner les arguments pouvant étayer cette hypothèse, que l’on pourrait qualifier de « compromis historique », même tacite :

Le premier, c’est que la « Kirk » pendant toute cette époque a d’autres combats à mener que de s’occuper des loges : Sa lutte contre Jacques VI et l’épiscopat, les procès en sorcellerie à mener, la pureté des mœurs à établir, puis la guerre civile contre Charles 1er, les conventicules sous Charles II … D’ailleurs, pour en revenir aux seconds « Statuts Schaw », aucune application des articles 1,4,7,9 n’a jamais été constatée, y compris au niveau des procès-verbaux de la loge de Kilwinning (tenus depuis 1642) : Jamais aucune élection, admission, et à fortiori aucun banquet n’ont été tenus à l’intérieur de l’église !

Le deuxième, c’est que la « Kirk » ne supprime pas tout. Des formes de rituels civils survivent à la Réforme… car ne comportant pas d’éléments religieux : Le « Riding of Parliament », par exemple, avec parlementaires en robes de cérémonies pour les ouvertures solennelles des sessions…

Un troisième argument, c’est que la « Kirk » aurait pu considérer les loges essentiellement comme des entités professionnelles, succursales ou substitut des guildes (là où elles n’existaient pas), des instances - particulières aux maçons - visant à réguler la demande par l’offre pour de meilleurs profits, entités professionnelles - de plus - à peu près bien « tenues » par les Maîtres « Freemen » des bourgs - eux-mêmes devenus membres éminents et probablement financeurs des presbytères.

Or la « Kirk » n’a pas la puissance économique de l’ancienne église catholique, même si, en 1562, Marie Stuart a du lui attribuer un tiers des anciens revenus ecclésiastiques [les deux autres tiers étant pour le trésor royal, et pour les nouveaux évêques, ce qui fit dire à John Knox : « 1/3 à Dieu et 2/3 à Satan !»].

D’où le compromis…

A propos du « Mot de Maçon », on pourrait rajouter que, vers le milieu du 17e siècle, certaines franges de l’église ont pu y trouver un véritable intérêt, de part ses références bibliques… voir son ésotérisme potentiel, au moment même où se développe le mouvement « Rose-Croix »… dont, ne l’oublions pas, les sources sont d’inspiration luthérienne !

Enfin, en 1652, au moment de l’affaire « James Ainslie », il est possible d’imaginer que les éléments les plus extrémistes de la « Kirk » - à ce moment, comme pour tout le royaume d’Ecosse sous la coupe et le contrôle de Cromwell - n’étaient pas en mesure d’imposer leurs vues.

Essayons maintenant d’examiner les arguments contraires à cette hypothèse du « compromis historique » :

Le premier, qui ne peut être évacué, c’est justement qu’il n’y en a jamais eu… tout simplement parce que les loges « Schaw » sont inconnues de l’église !?Jamais, en effet, celle-ci ne va les mentionner. D’ailleurs, jusqu’au début du 18e siècle, aucune référence aux loges ne figurera dans des sources extra-maçonniques ! D’une part, dans beaucoup de bourgs, celles-ci se réunissent très peu, et d’autre part, il est malgré tout possible que leurs efforts pour garder le secret de leur existence aient pu avoir été payants.

Le deuxième, c’est qu’il semble vraiment très difficile d’imaginer un compromis entre la « Kirk » et William Schaw :

William Schaw est catholique. En 1588, lorsque une assemblée « d’Anciens » de l’église d’Ecosse se réunit pour sommer de se présenter devant elle tous ceux - « papistes et apostats » - qui se « cachent » à la cour du roi, William Schaw figure dans la liste. Il est de plus, selon un agent anglais infiltré, « suspecté d’être jésuite », d’autant plus qu’à priori, il n’est pas marié

William Schaw est un proche du roi Jacques VI. Voici comment ce dernier est considéré en 1596 par la « Kirk », et son inspirateur de l’époque, Andrew Melville : « Dans le royaume du Christ, le roi terrestre n’est qu’un simple membre, le vassal insignifiant de Dieu » (God’s silly vassal). Toujours la même année, à Edimbourg, le pasteur David Black qualifie Jacques VI « d’enfant du démon »…en référence également sans doute à sa mère Marie Stuart… accusation grave, suite aux années 1591/1592 occupées par l’affaire du « diable de North Berwick » et l’énorme chasse aux sorcières qui s’ensuivit.

Le troisième, c’est que, dans ce contexte, le « contrôle » doctrinal et religieux évoqué dans les seconds « Statuts Schaw » paraît au demeurant étonnamment faible et limité.

Le quatrième argument, c’est qu’à la même époque, la « Kirk » suspecte en permanence comme dangereux les arts tels que la musique, la sculpture, la peinture, ainsi que toute forme de représentation, ce qui l’amène en particulier à faire supprimer le théâtre !

On peut rajouter que les loges « Schaw » possèdent une dimension d’organisation secrète - fleurant peut-être même un parfum d’hermétisme catholique - avec en plus l’existence de serments et de secrets qui seront clairement - au milieu du 18e siècle - condamnés par les ultra-puritains anglais.

Enfin, même après le début des années 1590, la « Kirk » - et les évêques épiscopaliens - multiplient les procès en sorcellerie, envoûtements, maléfices : 74 dans les années 1610/1620… et les font même exploser en nombre dans la décennie qui suit : 358.

Il peut alors sembler tout à fait impensable qu’entre leur apparition et la fin du 17e siècle, la « Kirk », avec son niveau de tolérance zéro, n’ait pas dénoncé les loges « Schaw » comme subversives, et le « Mot de Maçon » comme étant une abomination !? Et bien sûr encore plus étonnant qu’en 1649, à l’époque du règne des « Saints », s’interrogeant justement sur ce même « Mot », aucune condamnation n’ait été proférée …

 

(4) L'organisation du Métier ?

Gilbert Cédot ? Décembre 2006

En prologue de ce cycle centré sur les « Statuts Schaw », j’avais déjà souligné l’effervescence remarquable qui, en moins d’un demi-siècle, avait en Ecosse généré six textes : Deux « Statuts Schaw » (1598 et 1599), mais aussi deux « Chartes St Clair » (1600-01 et 1627-28), avec en amont la lettre-décret « Copland d’Udoch » (1590), et en aval les « Statuts Falkland » (1636).? En y revenant juste un court instant, que nous apprennent, pour l’essentiel, ces textes ?? En ce qui concerne les Statuts « Schaw », avant tout à connaître les règlements du « Métier », qu’ils fixent par écrit. Maïs dans le même temps, ces deux textes, et surtout les autres, décrivent les différentes entités chargées de faire appliquer ces règlements, dont bien sûr les « loges » de William Schaw, mais aussi des « Tribunaux », des « Compagnies »… ainsi que la façon dont ces entités sont, le cas échéant, organisées ou hiérarchisées.? Que sont, au juste, ces structures institutionnalisées qui entourent, voire qui conditionnent largement la vie d’un maçon de l’époque ? Quels en sont les buts, les points communs, les différences, les pouvoirs respectifs ??Qui les dirige ? Des Surveillants Régionaux ou Généraux, des Patrons, des Juges, des Protecteurs, des Inspecteurs ? Qui légifère ?? C’est ce que je voudrais, comme d’habitude avec beaucoup d’innocente témérité, commencer à aborder ce soir.

Mon fil conducteur, ma référence, restera, au niveau des comparaisons à opérer, le système de loges mis en place par William Schaw.? Sa réalité, constante et indiscutable, fait qu’il occupe une place très importante dans tout le 17e siècle écossais.

Cependant, place très importante ne signifie pas place centrale !? Car la place centrale pour une très grande partie des maçons de l’époque, dans leur vie au quotidien, pour le meilleur comme pour le pire est - soit parce qu’elles existent localement, soit parce que paradoxalement elle ne sont pas constituées - la place centrale est occupée par les Corporations professionnelles, les Guildes de Métier, selon leur appellation courante dans le nord de l’Europe (avec également le terme de « Hanses »).? Et pourtant, ces « Incorporations » - là c’est le terme spécifiquement écossais qui désigne ces Guildes - ne sont jamais mentionnées dans les « Statuts Schaw », pas plus, on le verra, que dans les procès-verbaux des loges.? J’essaierai par la suite d’apporter des éléments d’explication à ce qui peut sembler une bizarrerie.

Le premier volet de ce travail - point de passage obligé - va donc être d’essayer de différencier les loges « Schaw » de ces « Incorporations », en comparant leurs fonctions respectives réelles, leurs compositions réciproques, et leurs organisations.

Mais tout d’abord, que sont donc ces Guildes de Métier ? Je vais tout d’abord simplement tenter d’en fixer le cadre global.

Déclinaisons professionnelles des confréries médiévales, ces « Incorporations », répertoriées en Ecosse du moins pour les maçons et les métiers du bâtiment depuis la fin du Moyen-Age, sont établies dans les villes et les bourgs qui constituent - et c’est important pour la suite - leur seul espace de juridiction.

De ces confréries, elles ont intégré la dimension religieuse :

Avec le choix d’un Saint Patron du « Métier ».

La concession obtenue, et l’entretien, dans une église de la cité, d’un autel qui lui est dédié.

Des messes spéciales célébrées à son nom par un prêtre.

L’organisation de processions.

La participation es-qualité (souvent avec livrées et bannières) aux fêtes religieuses ou civiles, en compagnie des autres Guildes du Bourg.

Cette dimension religieuse - c’est également important - est caractérisée tout au long de l’année par des pompes et des rituels religieux conséquents, visibles et affirmés !?Tout cela bien entendu avant la Réforme. Un excellent exemple en est donné par les « Wrights and Masons » d’Edimbourg, c’est à dire la Corporation des artisans « Charpentiers et Maçons ».

Le 15 octobre de l’an de grâce 1475, celle-ci obtient le sceau officiel de la ville (Seal of Cause).

« A tous ceux qui prendront connaissance de cette présente lettre, le Prévôt [le maire], les Baillis [conseillers municipaux], le Doyen de la Guilde et les Diacres des Corporations du Bourg d’Edimbourg, salut au nom du Fils et de la glorieuse Vierge.? Pour l’honneur et la gloire de Dieu tout puissant et de la glorieuse Vierge Marie et de notre patron Saint Gilles, et pour la plus grande aide et supplication du service divin de chaque jour célébré à l’autel de Saint Jean l’Evangéliste, fondé dans l’église collégiale de Saint Gilles d’Edimbourg, et en réparation de ce qui peut être fait en l’honneur du dit saint, de Saint Jean et du glorieux Saint Jean le Baptiste, nous avons concédé et assigné et nous concédons et assignons par cette présente lettre à nos chers voisins les [membres de la Guilde des] Maçons et des Charpentiers dudit Bourg, l’autel et la chapelle de Saint Jean… avec tous les privilèges, libertés et revenus y afférents…

En témoignage de quoi avons apposé le sceau officiel du dit, avec les sceaux d’Alexandre Turing, David Quhytehed, Bartillmo Carnis, Baillis du moment et celui d’Alexandre Richerdsons Doyen de la Guilde, comme marque d’approbation et de concession de ladite chapelle aux dits hommes du Métier…? A tous ceux qui prendront connaissance [même formule que le premier paragraphe], salut en Dieu l’Eternel.? Sachez que nos concitoyens et voisins les artisans de la maçonnerie et de la charpenterie de notre dit Bourg se sont présentés devant nous pour nous supplier de donner notre accord et consentement à certains statuts et règlements élaborés entre eux pour l’honneur et le culte de Saint Jean et le développement du service divin, et aussi pour gouverner et réglementer les dits deux métiers, et pour l’honneur et la réputation de la ville…?

Ayant lus les dits statuts et règlements et après avoir délibéré, nous les avons trouvé bons et agréables à Dieu et aux hommes, conformes à la raison et par conséquent nous leur avons donné notre assentiment et leur avons accordé la chapelle Saint Jean dans l’église collégiale de Saint Gilles, pour qu’ils l’édifient et la meublent en l’honneur du dit Saint [Jean] et y fassent célébrer le service divin ».

Cette dimension religieuse est également présente au sein même desdits « Statuts et Règlements», « approuvés par le Prévôt, les Baillis, le Doyen de la Guilde et les Diacres des Corporations du Bourg d’Edimbourg » - y compris au niveau des différentes contributions citées :

Si une ou plusieurs personnes des dits métiers vient, après l’entrée en vigueur de ce règlement, pour demander du travail dans cette ville, elle devra…si elle est admise [après examen professionnel] donner un marc pour l’entretien de l’autel.

Un nouvel apprenti doit payer un droit d’entrée d’un demi-marc, pour l’autel. Quand il aura terminé son temps d’apprentissage [et après examen professionnel] pour être reconnu digne de devenir « compagnon du métier », il paiera un autre demi-marc à l’autel.

Si un apprenti quitte son maître avant la fin de son terme sans l’autorisation de son maître, celui qui le recevra devra donner à l’autel une livre de cire et à la deuxième fois deux livres de cire…

Enfin, deux hommes élus de chacun des deux métiers auront leur place marquée dans les processions générales, comme cela se pratique à Bruges et autres bonnes villes… [Bruges qui était, jusqu’en 1470, le principal comptoir du commerce écossais sur le continent].

Et puis ces Guildes ont également intégré des confréries une dimension sociale, financée d’ailleurs par toutes ces contributions à « l’autel » citées, et bien sûr par la charité :

En aidant leurs membres en difficulté, avec en premier lieu les malades : Les comptes de la corporation d’Edimbourg montrent l’existence de pensionnés recevant des aides sporadiques ou régulières.

Mais aussi en soutenant pécuniairement les veuves et les orphelins.

Et bien sûr en assurant des funérailles décentes, comme l’indique un des articles du règlement de 1475 : « … et si un membre de la corporation décède sans avoir suffisamment de bien pour être enterré décemment, la corporation prendra en charge la dépense de ses funérailles comme cela doit être fait pour tout frère du métier ».

Et après les funérailles, la Guilde va régulièrement - en individuel ou en collectif, suivant les legs financiers complémentaires - faire célébrer des prières pour le défunt.

Recoupant la dimension religieuse, elle s’occupe également, en cela, du Salut de ses membres.

Hors la fête du Saint Patron, des banquets organisés lors de réunions ou d’évènements importants apportent une touche supplémentaire à cette dimension de charité, de solidarité et de fraternité.?Ils apportent également une dimension conviviale, souvent décriée par les pouvoirs civils ou religieux à cause des beuveries inhérentes.

Mais la dimension majeure des Guildes est avant tout professionnelle, au sens de défense des intérêts de la profession,?composées de bourgeois employeurs, petits et gros, ces structures se situent quelque part entre :

Un syndicat patronal effectuant du lobbying auprès des autorités.

Un groupement solidaire de producteurs visant à imposer une discipline collective, pour préserver les secrets de fabrication, limiter la concurrence, et influer sur les prix.

Enfin une sorte de Chambre des Métiers, pour la formation et la recherche de qualité.

Au Moyen Age, dans toute l’Europe, certaines de ces Guildes, notamment celles composées de marchands et de négociants, avaient parfois bénéficié de pouvoirs considérables, ayant même obtenu, dans certains cas, autorité pour régir les salaires et l’embauche.

Mais depuis, et notamment dès le milieu du XVe siècle, les pouvoirs publics s’en méfient et ont tendance à considérer :

Qu’elles développent des comportements corporatistes, au sens actuel du mot, avec des ententes et des collusions entre Maîtres Artisans d’une même branche.

Qu’elles peuvent même devenir subversives, voire sources de déclenchements d’émeutes.

A titre d’exemple, un arrêt de 1500 du Parlement de Paris interdit la création de nouvelles confréries, et invite le Prévost à mieux contrôler celles qui sont déjà reconnues, car soupçonnées de « mettre prix à leurs denrées et marchandises au préjudice de la chose public ».

Quelques années plus tôt, en 1425, en Angleterre, sous Henri VI, un acte du Parlement interdit aux maçons de se réunir en « Chapitre ou Congrégation », car il semble qu’ils avaient pris le contrôle des chantiers, des constructions, et provoqué des grèves, avec à la clé de cette interdiction une possible accusation - très grave pour l’époque - de « félonie » en cas de manquement.? Anderson fait d’ailleurs grand cas de cet arrêt dans ses deux livres des Constitutions.

En 1427, un acte du parlement d’Ecosse - toujours par crainte de voir les Métiers s’organiser en Guildes pour essayer de développer des salaires exagérés, et revendiquer le contrôle de la main d’œuvre - cherche à mettre en place des Conseils dans les Bourgs et des Barons dans les zones rurales, comme « Surveillants » de tous les Métiers.

Parenthèse : Peut-être trouve-t-on là un des premiers emplois du mot « Warden », mentionné ensuite pour la direction de loges de chantier (comme à Dundee ou à Aberdeen) puis dans le décret au profit de Patrick Copland d’Udoch, ce petit laird (propriétaire) de « l’Aberdeenshire » confirmé par le Roi Jacques VI comme Surveillant Régional. On retrouvera bien sûr ce terme dans les loges « Schaw », au niveau de leur direction.

En 1475, à Edimbourg, les « Wrights and Masons » n’ont pas autorité sur les salaires, car (comme en Angleterre) les métiers de la construction n’ont pas bonne réputation et sont moins considérés que les autres corporations.? Ils sont là aussi, dans tout le pays - jusqu’au début du 18e siècle - considérés comme susceptibles de conclure « des combinaisons et pactes secrets pour leur propre profit », et comme pouvant donc constituer de réelles sources de tracas, évidemment pour le bien-être économique des édiles et des propriétaires.

En 1557, l’acte du Parlement de 1427 est invoqué par le Conseil Municipal d’Edimbourg afin d’autoriser des entrepreneurs et ouvriers étrangers à la ville à intervenir pour terminer des constructions commanditées par la Guilde des Boulangers, constructions commencées par les « Wrights and Masons » de Mary’s Chapel, mais que ceux-ci refusent de continuer… faute d’augmentations de salaires - si j’ose dire - conséquentes.

Par deux fois, en 1677 et en 1689, la municipalité est amenée à publier des décrets qui autorisent les commanditaires à faire appel à de la main-d’œuvre non membre de la Guilde, dépourvue du « droit de cité », en cas de « devis » déraisonnables.

Enfin, en 1691, la Guilde établit de son propre chef des tarifs minima acceptables par ses membres, au motif que ceux qui travaillent en dessous ces seuils vont se ruiner - et devenir un fardeau pour elle - parce qu’elle allait devoir leur procurer une aide financière !? Cette initiative fut immédiatement déclarée illégale par le Conseil Municipal.

Le droit à régir l’embauche reste toujours un sujet très sensible : ?En 1675, un citoyen d’Edimbourg, Thomas Borlands décide de recruter quatre maçons dépourvus du droit de cité, « d’origine servile », en lieu et place de l’artisan maçon membre de la Guilde avec qui il avait passé un engagement.? Pourquoi ?? Parce qu’il constate simplement que celui-ci ne paye pas ses « Servands », ses aides.? Sur l’ordre de la corporation, les maçons étrangers nouvellement recrutés sont sur-le-champ emprisonnés.?Mais Borlands se plaint et fait valoir ses arguments auprès de la Municipalité.

?Résultat : Les quatre maçons sont relâchés… et c’est le Diacre maçon de la corporation qui les remplace en prison ! Sa défense consiste à affirmer que depuis des années, voire des temps immémoriaux, la corporation a le droit de faire arrêter des maçons d’origine servile, surpris à travailler à Edimbourg !

C’est pour ces raisons que les « Statuts et Règlements » paraphés par les « Sceaux des Causes » - quand celui-ci est accordé - tendent, de fait, à borner les pouvoirs des corporations.

Mais ceux-ci restent en général tout de même conséquents :

En 1475, et à propos de l’autorisation de travailler dans la ville, les « Wrights and Masons » ont obtenu compétence sur l’embauche, mais ce droit est limité au strict niveau du contrôle de la qualification professionnelle :

Si une ou plusieurs personnes des dits métiers vient, après l’entrée en vigueur de ce règlement, pour chercher de l’emploi dans cette ville, ou en prendre de son propre chef, elle devra d’abord se présenter devant les susdits quatre hommes qui l’examineront pour voir si elle est suffisante [suffisamment compétente].

Ils ont capacité à réguler le nombre d’ouvriers maçons, au niveau de la durée de leur apprentissage :

Aucun maître d’un desdits métiers ne devra prendre un apprenti pour moins de sept ans…

Ou au niveau de leur examen de passage :

Et quand un apprenti aura terminé son temps d’apprentissage, il sera examiné par les quatre hommes pour savoir s’il est digne ou non d’être admis comme compagnon du métier, et s’il est reconnu digne il… jouira du privilège du Métier…

Ils ont compétence pour vérifier le travail accompli :

Premièrement il est jugé bon que chacun des deux métiers choisisse deux personnes de la plus grande valeur, deux maçons et deux charpentiers, qui prêteront serment et vérifieront tous les travaux des « hommes du métier », afin qu’ils soient légalement et véritablement effectués.

Et constituer une première instance de résolution des conflits internes :

Si quelqu’un a à se plaindre du travail ou d’un travailleur de ces métiers, il s’adressera au Diacre et aux « Quatre Hommes », ou à deux d’entre eux, et ces personnes veilleront à ce que le dommage soit réparé, et si cela n’est pas possible le Prévôt et les Baillis le feront indemniser au mieux.

Et si un desdits [apprentis] quitte son maître avant la fin de son terme sans l’autorisation de son maître, celui qui le recevra devra donner à l’autel une livre de cire, et à la deuxième fois deux livres de cire, et à la troisième fois il sera puni par le Prévôt et les Baillis de la ville comme ils le jugeront bon.

Si un membre du métier désobéit ou crée du trouble parmi les autres membres ou qu’un autre membre a à se plaindre de lui, il sera traduit devant le Diacre et les dirigeants (Overmen) du métier pour faire amende honorable entre eux, et s’il refuse il sera traduit devant le Prévôt et les Baillis de la ville pour être puni en conséquence.

Ils ont enfin capacité à légiférer, mais sous contrôle des magistrats locaux :

Et en outre, il sera permis aux dits deux métiers de Charpentiers et de Maçons de faire des règlements qu’ils jugeront bons et nécessaires pour eux-mêmes et pour le bien de la ville, avec l’accord de nos successeurs, afin qu’ils soient ratifiés et transcrits dans le registre municipal d’Edinburgh avec la même autorité que ce présent document.

Mais tous les hommes de métier, « que leur travail soit d’équerre, de fil à plomb, ou de compas sous l’Art de la Géométrie » comme ceux de Dundee … ne disposent pas du « Sceau des Causes », c'est-à-dire de « l’assentiment » des autorités municipales, « pour gouverner et réglementer les dits deux métiers, et pour l’honneur et la réputation de la ville… comme peuvent en jouir : Les « Charpentiers et Maçons » d’Edimbourg, les « Hommes d’équerre » d’Ayr et d’Irvine - ou ceux de Dumfries, les « Maçons, Charpentiers et Tonneliers » de Glasgow - d’Aberdeen (comprenant les Graveurs, les Couvreurs, les Peintres), les Charpentiers, Couvreurs de Canongate (incluant les maçons), l’Omnigatherum (omnium gatherum : omnigadrum) de Stirling groupant Teinturiers et Métiers de la construction…?

Car le « Sceau des Causes » permet également à une corporation de bénéficier d’une reconnaissance officielle de la ville.? Par cette reconnaissance, celle-ci peut certes la contrôler, lui imposer ses décisions, mais dans le même temps, via ses propres représentants au sein du Conseil Municipal (« le doyen de la Guilde et les Diacres des Corporations du Bourg d’Edimbourg »), la Guilde participe d’une certaine façon à l’élaboration de la politique du Bourg, et quelque part peut influer sur les choix, et ainsi mieux faire valoir ses intérêts.? En ce sens, elle constitue, par là-même, une sorte de groupement économique semi-public.? Cette reconnaissance lui confère également un pouvoir de police, comme nous venons de le voir, parfois à ses risques et périls !

Enfin, chaque métier composant la Guilde élit un Diacre, soit en totale démocratie, soit le plus souvent avec le consentement de la municipalité.? L’un d’entre eux préside l’ensemble, avec parfois dans certains Bourgs l’existence d’un « Doyen Général », émanation des différentes corporations.? Ces Diacres sont assermentés, à l’instar des « deux maçons et deux charpentiers…de la plus grande valeur » évoqués, qui « chercheront à voir si le travail de tous les Hommes du métier est légalement et vraiment fait. », et devant qui devra se présenter toute personne « des dits métiers » en situation de «chercher de l’emploi dans cette ville, ou en prendre de son propre chef », afin d’être examinée « pour voir si elle est suffisante [suffisamment compétente]. »

Et puis, si le « Sceau des Causes » permet à une Guilde de se voir assigner un autel dans l’église, c’est aussi, comme à Edimbourg, « avec tous les privilèges, libertés et revenus y afférents » - « privilèges, libertés et revenus »… institutionnels et collectifs, certes, mais pas seulement !

A titre individuel, accéder au rang de « Maître » dans une Guilde, c’est la capacité d’obtenir un statut, de figurer sur la liste des « Electeurs » du Conseil Municipal, de devenir un « Freeman », un homme « libre » au sein de la Guilde, un homme « libre » au sein de la ville, non pas « libre » de s’affranchir des règles établies, mais en capacité juridique de participer à leur élaboration.

Cette « liberté » permet par ailleurs de pouvoir jouir de certaines « franchises et privilèges » dans la pratique de son métier et même en dehors… comme par exemple, à Aberdeen, le privilège pour quelques maçons faits « bourgeois » de pouvoir brasser et vendre bières et eaux de vies…

C’est pourquoi, si la Guilde régit les conditions de formation, d’embauche, et de travail de l’ensemble des acteurs du « Métier » - hormis bien sûr les commanditaires - elle n’est, elle-même, composée que par une élite sociale sélectionnée, notamment par l’argent et la filiation, et très souvent auto-limitée en nombre : ?A la fin du 17e siècle, Edimbourg compte environ 2200 électeurs, dont 57% sont des artisans. Avec leurs foyers, ces 2200 électeurs représentent moins du tiers de la population.? Le nombre de « Wrights and Masons » de « Mary’s Chapel » (maçons, charpentiers, vitriers, peintres, couvreurs, autres) varie en 40 ans, (entre1670 et 1709) de 96 et 130.?Quand au nombre de maçons membres de la Guilde, il ne bouge quasiment pas, diminuant même de 15 à 14 ! Ceux-ci représentent donc 0,65% des électeurs !

Une dernière chose à propos de ces « Freemen ».? Une des explications données sur l’origine du mot « Freemason », notamment par Marie-Cécile Révauger, est qu’il provient du terme « freestone », une pierre à grain fin, à base de grès ou de schiste, que taillaient et sculptaient les maçons qualifiés, en opposition à la « Roughstone », une pierre grossière utilisée par les manœuvres, les « Roughmasons » ou « Roughlayers », équivalent anglais des « Cowans ».?David Stevenson nous précise que le mot « Freemason » est inhabituel en Ecosse, mais qu’il apparaît - à l’occasion - dans des procès-verbaux de loges au 17e siècle… et que dans la loge d’Edimbourg - vers les années 1630 - le terme « Master Freemasons » était utilisé comme une variante mineure du terme « Master Freemen Masons ».?De là à appeler un maître-maçon de la Guilde un « Freeman Mason », ou un « Freemason », il n’y a qu’un pas...?Voilà pour une deuxième explication possible…

(5) Loges et Guildes ?

Gilbert Cédot ? Mars 2007

J’ai essayé de décrire ces Guildes autour de quelques unes de leurs dimensions majeures : Leur aspect religieux, leur rôle solidaire et social - incluant la convivialité - et leur fonction revendiquée de réglementation du « Métier ».? J’ai également brièvement développé ce qu’était leur statut dans la cité, et celui qu’elles apportaient à leurs membres. Enfin j’ai évoqué leur mode de direction.

Il me faut donc maintenant tenter - globalement autour de ces même critères - de rechercher les différences entre les loges « Schaw » et ces « Incorporations », et surtout essayer d’émettre des hypothèses sur les causes de la mise en place de ces nouvelles structures, et sur celles qui leur ont permis de se pérenniser.



La dimension religieuse

Elle est de nature totalement différente.? Tout simplement parce que la Réforme protestante - instaurée dès 1560 - est passée par là et qu’elle s’est imposée aussi bien pour les Guildes que pour les loges « Schaw ».? Les « Statuts et Règlements » des « Wrights and Masons » d’Edimbourg de 1475 baignent dans les invocations à Dieu éternel et tout puissant, à la glorieuse Vierge Marie, à St Gilles - le Saint patron de la collégiale - à St Jean l’Evangéliste, et même au glorieux St Jean le Baptiste.? Au sein même des « Statuts et Règlements » figure une référence aux processions - qui bien entendu intègrent une dimension religieuse majeure : « Item, les susdits deux hommes [élus de chacun des deux métiers] auront leur place marquée dans les processions générales, comme cela se pratique à Bruges et autres bonnes villes ».? Aucune invocation religieuse ne figure dans les « Statuts Schaw ».? Mais la « Kirk », l’église calviniste y a introduit sa face grise, c’est à dire son souci de contrôle idéologique et social - avec en corollaire la répression y afférant. Cette surveillance apparaît - plus d’ailleurs sous la forme d’un cadre menaçant - dans quatre des quatorze articles des seconds « Statuts Schaw », avec notamment :

La responsabilité des Surveillants de chaque loge devant les « Presbytères » de leur lieu d’exercice pour toute offense commise.

L’exclusion pour tout membre qui désobéit à l’église.



La dimension solidaire et sociale

Si l’on reprend la dimension solidaire et sociale des Guildes, force est de constater que les loges « Schaw » présentent des actions souvent similaires :? Au niveau des textes régissant la corporation des « Wrights and Masons », textes approuvés par l’apposition du « Sceau des Causes » de la cité d’Edimbourg, si un de ses membres décède sans avoir suffisamment de bien pour être enterré décemment, la Guilde prend en charge la dépense des funérailles.? Le premier article des « Statuts Schaw » de 1598 précise que les « Maîtres maçons de ce royaume…vivront ensemble dans la charité comme étant devenus par serment frères et compagnons [du] métier ».? Dans les « Statuts » de 1599 un tiers des amendes doit être « employé aux usages pieux de la loge où l’offense aura été commise ». Dans ceux de 1598, le produit de la totalité des nombreuses amendes possibles doit être distribué « ad pios usus ».? Dans la pratique, un « gardien du drap mortuaire » est identifié en 1624 dans les procès-verbaux de la loge d’Aitchison’s Haven, qui en possède même deux en 1667… de tailles différentes !



La convivialité

En ce qui concerne la troisième dimension, la convivialité, des banquets sont mentionnés - deux fois - dans les Statuts de 1599, pour les admissions d’apprentis et de compagnons.?Mais on banquetait également le 27 décembre, à l’occasion de la Saint Jean.



Quatrième dimension : La réglementation du « Métier ».

Sept des dix articles des « Statuts et Règlements » des « Wrights and Masons » d’Edimbourg,?quinze articles - sur vingt deux - dans les « «Statuts » de 1598, et plus de la moitié des quatorze articles des « Statuts » de 1599 portent sur la réglementation du métier de maçon.

Avec un certain nombre de thématiques communes :

La compétence et le contrôle de la bonne exécution du travail. Dans les règlements des « Wrights and Masons », « Quatre personnes de la plus grande valeur, deux maçons et deux charpentiers » assermentés vérifient « tous les travaux des Hommes du Métier, afin qu’ils soient légalement et véritablement convenablement effectués ».? Dans les « Statuts » de 1598, « personne ne doit entreprendre un ouvrage, grand ou petit, qu’il n’est pas capable d’exécuter avec compétence », sous peine d’une amende de 40 livres, ou du quart de la valeur dudit ouvrage... selon l’estimation et le jugement du Surveillant Général, ou en son absence selon l’estimation des Surveillants, Diacres et Maîtres du Comté (« Shrefdome ») où ledit ouvrage est en construction.

La bonne réalisation d’un ouvrage est assortie, dans le cadre de la Guilde d’un contrôle interne par deux membres très qualifiés et assermentés.? Dans le cadre de la Loge, la non-compétence est sanctionnée par une amende très lourde fixée par le Surveillant Général, ou par une instance intermédiaire - dont on apprend en même temps l’existence - composée de Surveillants, Diacres et Maîtres, instance ayant juridiction au niveau du Comté.

La réparation ou l’indemnisation des dommages et des torts éventuellement causés aux commanditaires. Dans les règlements des « Wrights and Masons », « Si quelqu’un a à se plaindre du travail ou d’un travailleur de ces métiers, il s’adressera au Diacre et aux « Quatre hommes » ou à deux d’entre eux et ces personnes veilleront à ce que le dommage soit réparé, et si cela n’est pas possible le Prévôt et les Baillis le feront indemniser au mieux ».? Dans les « Statuts » de 1598, « …des dédommagements et compensations » sont « à payer aux propriétaires de l’ouvrage, selon l’estimation et le jugement du Surveillant Général, ou en son absence selon l’estimation des surveillants, diacres et maîtres du comté où ledit ouvrage est en construction ».

Dans le premier cas, le préjudice doit être réparé. Dans le deuxième, il doit être indemnisé.? Si, au niveau des « Statuts Schaw », c’est la même instance que précédemment qui fixe le montant du dol, il est intéressant de constater, au niveau des règlements des « Wrights and Masons », que le Diacre apparaît, en sus des quatre hommes, mais que même assermentés, ils ne constituent qu’une première instance. Ce sont les autorités municipales, qui, au final, arbitrent… et le cas échéant condamnent…



La juridiction de référence des conflits internes. En cas de plainte contre quiconque, de discorde ou de désobéissance, les règlements des « Wrights and Masons » d’Edimbourg précisent que l’homme accusé est traduit devant le Diacre [concerné], et au moins deux des « Quatre hommes » du Métier - qui doivent régler le conflit - et s’ils n’en sont pas capables, il devra être traduit devant le Prévôt et les Baillis.? Dans les « Statuts », « si quelque contestation, querelle ou dissension éclate parmi des maîtres, des aides, ou des apprentis entrés », « les parties en présence » doivent faire «connaître la cause de leur querelle aux Surveillants et aux Diacres de leur loge dans un délai de 24 heures, sous peine d’une amende de 10 livres, afin qu’ils puissent être réconciliés et mis d’accord, et que leur différend puisse être aplani par lesdits Surveillants, Diacres et Maîtres ; et s’il advient que l’une des parties s’entête et s’obstine, ils seront exclus des privilèges de leur loge et il ne leur sera pas permis d’y travailler jusqu’à ce qu’ils viennent à résipiscence devant les Surveillants, Diacres et Maîtres, comme il a été dit ».

Hors problèmes de compétence et d’indemnisation liés aux ouvrages, les autres conflits sont réglés là aussi sur des modes différents :

Dans les « Statuts », la procédure commence par l’obligation dans un délai très bref de poser les causes du conflit devant les instances d’arbitrage, en l’occurrence les dirigeants de la loge. C’est à ce niveau seul qu’une résolution doit être trouvée, et la sanction ultime est l’exclusion. Il s’agit donc bien de conflits internes.

Dans les règlements des « Wrights and Masons », on retrouve la même juridiction que précédemment, avec au sommet, les autorités municipales, ce qui peut notamment signifier - outre des amendes - une interdiction possible de travailler, voire un emprisonnement.

Il est également intéressant déjà de noter que la juridiction contenue dans les règlements des « Wrights and Masons » s’étend à tout homme du « Métier », alors qu’au niveau des « Statuts », elle ne porte que sur les Maîtres, les Aides, ou les Apprentis-Entrés membres de la loge.

Ces premières comparaisons montrent des corpus réglementaires qui se chevauchent, qui s’entrecroisent, tout en présentant cependant des différences notables.



Les sanctions.

Le même phénomène est présent au niveau des sanctions.? Dans les règlements des « Wrights and Masons » - à une exception près que j’évoquerai dans un instant - les sanctions ne sont jamais définies, car ce sont les autorités municipales qui les fixent… et les font exécuter.? Les « Statuts » prévoient des sanctions pour la plupart des manquements. Essentiellement pécuniaires, elles peuvent dans une circonstance précise déjà citée (contestation, querelle ou dissension) aller jusqu’à l’exclusion de la loge, et même, en cas de manquement à la sécurité, jusqu’à une condamnation - pour le maître entrepreneur d’ouvrage concerné - à travailler pendant le restant de ses jours sous les ordres d’un autre maître principal ayant charge d’œuvre.



Le cadre obligatoire de la formation.

Dans les règlements des « Wrights and Masons », si un apprenti quitte - sans y être autorisé - son maître avant la fin de son terme, celui qui le recevra devra donner à l’autel une livre de cire, et à la deuxième fois deux livres de cire, et à la troisième fois, il sera puni par le Prévôt et les Baillis de la ville comme ils le jugeront bon. ?Dans les « Statuts » de 1598, aucun maître n’accueillera ni n’emploiera l’apprenti ou l’aide d’un autre maître, qui se sera enfui du service de ce maître, ou [s’il l’a accueilli par ignorance], il ne le gardera pas avec lui quand il sera informé de sa situation, sous peine d’une amende de 40 livres.? Il ne sera permis à aucun maître de vendre son apprenti à un autre maître, ni de se décharger à prix d’argent, vis-à-vis de l’apprenti lui-même, des années d’apprentissage qu’il lui doit, sous peine d’une amende de 40 livres.

Enfin un point d’accord entre les deux textes : L’apprentissage, matérialisé par un contrat doit se dérouler dans son intégralité sous l’égide d’un même maitre. Comme nous venons de le voir, en ce qui concerne les règlements des « Wrights and Masons »,? La punition ultime en cas de manquement est délivrée par le Prévôt et les Baillis de la ville. On peut remarquer que c’est le seul cas dans lequel est précisée une sanction financière - par ailleurs graduée. En ce qui concerne les « Statuts », l’amende est très lourde. Derrière la préoccupation du strict respect du cadre contractuel, apparaît nettement un souci de protection des « Maîtres entrepreneurs » contre le risque - en quelque sorte - de débauchage sauvage.?Mais cet article présente également un caractère « protecteur » pour les apprentis afin de leur permettre d’arriver au terme de leur formation.

L’examen de passage pour devenir « Homme Libre et Compagnon », dans la Guilde, ou « Frère et Compagnon du métier », dans la Loge.

Dans les règlements des « Wrights and Masons », quand un apprenti a terminé son temps d’apprentissage, il est examiné par les « Quatre hommes » pour savoir s’il est digne ou non d’être admis comme « Freeman and Fellow ». S’il n’est pas reconnu digne, il continuera à être employé jusqu’à ce qu’il soit reconnu apte à le devenir - à devenir un maître dans la Guilde.? Dans les « Statuts » de 1598, deux articles spécifient qu’un apprenti ne pourra devenir un « frère et compagnon du métier » [« brother and fallow in craft »] qu’après qu’on [les Surveillants, Diacres et Maîtres] ait suffisamment éprouvé sa valeur, qualification, et habileté… et cela sous peine d’une amende de 40 livres, à percevoir sur celui qui aura été fait compagnon du métier [« fallow in craft »] contrairement à cette ordonnance, sans préjudice des peines qui pourront lui être appliquées par la loge à laquelle il appartient.

Aussi bien au niveau de la Guilde qu’à celui de la Loge, la compétence professionnelle est majeure. Car c’est sur la qualification que s’appuie la demande de conservation du monopole exercé sur le « Métier ».

Elle est validée par un jury ou l’on retrouve simplement les « Quatre hommes » dans le premier cas, et les « Surveillants, Diacres », auxquels se rajoutent les « Maîtres », dans le second cas.? Devenir « Maître et Homme Libre » dans la Guilde des « Wrights and Masons » implique non seulement d’en avoir terminé avec son contrat d’apprentissage, mais aussi de réussir l’examen, faute de quoi l’apprenti continuera à travailler sous un statut de salarié, de « Bound Servant ».? La réussite à un examen est aussi requise, mais pour devenir « Compagnon du Métier et Maître » dans la Loge. Cependant, les « Statuts » s’étendent surtout sur les amendes et peines sanctionnant le non respect des règles édictées.? Ces pénalités s’appliquent par ailleurs exclusivement à l’apprenti qui se fait recevoir illégalement.



La durée de l’apprentissage.

Dans les règlements des « Wrights and Masons », un « Maître ne peut prendre des apprentis pour moins de sept ans ».? Dans les « Statuts » de 1598, aucun Maître ne prendra ni ne s’attachera d’apprenti (Prenteis bund) également pour moins de sept ans, mais cet apprenti ne pourra pas devenir un « frère et compagnon du métier » avant « sept autres années après la fin de son apprentissage, sauf dispense spéciale accordée par les Surveillants, Diacres et Maîtres assemblés pour en juger… »

Les croisements et chevauchements des corpus réglementaires se poursuivent, et toujours encore avec des différences notables.?Passer à un statut supérieur semble impliquer des durées très différentes entre une Guilde du bâtiment, comme celle des « Wrights and Masons » d’Edimbourg et une Loge « Schaw ».

Les faits le confirment, mais absolument pas dans le sens indiqué.

Quel est donc le véritable parcours dans ces deux hiérarchies - qui à première vue, semblent parallèles ?

Devenir « Freeman an Fellow » dans la Guilde des « Wrights and Masons » implique tout d’abord - comme déjà évoqué - d’en avoir terminé avec son contrat d’apprentissage, au service d’un maitre. La durée de ces contrats - 82 répertoriés à Edimbourg entre 1584 et 1647 - varie entre cinq et onze ans, l’écrasante majorité se situant effectivement autour d’une période de sept ans. Une huitième année est parfois rajoutée « contre viande et rétribution », c’est à dire que l’apprenti n’est plus simplement nourri, mais également… payé. En avoir terminé avec le temps d’apprentissage n’est cependant pas suffisant : ?Avoir été examiné - même avec succès - par les « Quatre hommes », avoir éventuellement réalisé un chef-d’œuvre implique également, pour devenir « Freeman an Fellow », le paiement de frais coutumiers.? Déjà, dans les règlements de 1475 des « Wrights and Masons », il était précisé que chaque apprenti devait - au moment de l’enregistrement de son contrat d’apprentissage - verser un demi-marc pour ledit autel. Reconnu digne de figurer parmi les « Freeman and Fellow », il lui fallait encore verser un autre demi-marc… ».? Mais en 1686, c’est 104 livres qu’il faut débourser pour obtenir ce statut, soit, pour un « Bound Servant », 6 mois de salaire à temps plein.? Le constat d’un nombre quasi immuable de « Maîtres maçons» dans la corporation d’Edimbourg - environ une quinzaine entre 1670 et 1709 - montre bien le souci des titulaires de restreindre l’accès à ce privilège - via des redevances exorbitantes - d’en préserver le monopole pour eux-mêmes, et le cas échéant pour leurs enfants, par ailleurs souvent dispensés de contrats d’apprentissage. Il en résulte que l’écrasante majorité des apprentis deviennent à la fin de leur formation des « Bound Servants », des employés salariés… et le restent toute leur vie.

Faire recevoir au bout de deux à trois ans maximum son « Apprenti-Enregistré » comme « Apprenti-Entré » dans une loge « Schaw », comme par exemple celle de « Mary’s Chapel », est souvent inscrit en toutes lettres dans les contrats signés, et figure comme une obligation du Maître employeur. ? Entre sept et dix ans après avoir été « entré » - et non pas quinze, comme inscrit dans les « Statuts » - l’Apprenti est fortement incité à devenir « Frère et Compagnon du métier », en payant là aussi un droit (dix livres, et des gants d’une valeur de 10 shillings), mais évidemment cette fois à la Loge.?

Ce changement d’état dans la loge est totalement indépendant de son statut social, largement conditionné, dans le Bourg, par l’appartenance - ou non - à la Guilde.? Certains « Frères et Compagnons du Métier » - en fonction de leur ressources, de leur filiation ou de leurs relations - deviendront « Freeman and Fellow », électeurs du Bourg, les autres demeurant donc à jamais « Bound Servants »…?Certains autres, en lien avec leur statut familial, social ou professionnel, seront même nommées « Freeman and Fellow », électeurs du Bourg, avant d’être admis dans la loge, où naturellement ils deviendront - sous un délai faible voire inexistant - « Frères et Compagnons du métier ».

Les deux entités organisées que sont la « Guilde » et la « Loge » - ont - où se sont données vocation à réglementer le « Métier ».?Mais la première est uniquement composée par les patrons, « hommes libres et électeurs du Bourg », seuls habilités à entreprendre des ouvrages et des travaux conséquents, ainsi qu’à pouvoir embaucher.?Ces mêmes employeurs se retrouvent également dans la seconde, où - sous la dénomination commune de « Frères et Compagnons du métier » - ils cohabitent en quelque sorte avec leurs ouvriers salariés… et même leurs Apprentis.

Dans ces sept exemples croisés, au niveau des textes de références, portant sur la réglementation du « Métier », au delà des différences notables, j’ai commencé à mettre en évidence des écarts avec les pratiques réelles.? Ces écarts sont conséquents sur l’ensemble du territoire écossais, et les situations varient considérablement.?Si je prends le simple cas d’Edimbourg, la loge - pourtant Première et Principale loge d’Ecosse d’après les seconds « Statuts Schaw » - et qui se réunit à « Mary’s Chapel », dans le même local que la corporation des « Wrights and Masons », s’occupe fort peu de la régulation du « Métier » :

En 1599 un simple avertissement donné à un de ses membres pour l’emploi d’un « Cowan ».

Quelques tentatives de contrôle du nombre d’apprentis pendant la première moitié du 17e siècle.

Quelques conflits internes arbitrés…

La vérification de « la valeur, de la qualification et de l’habileté », n’est pas nécessaire pour devenir « Compagnon ou Maître » au sein de la loge.? Elle est par contre obligatoire pour accéder au rang de Maître de la Corporation.?La production d’un chef d’œuvre lié à l’architecture, dans la plupart des cas la maquette d’une construction - et non pas à la taille ou à la pose de pierres - intervient souvent après ce changement de statut, et n’est en aucun cas une condition sine qua non.? Toujours à Edimbourg, les contrats d’apprentissage sont enregistrés dans un registre municipal des apprentis - avec l’accord de la Corporation - qui prélève bien évidemment des droits d’inscription. C’est la Corporation qui, une fois son apprentissage terminé, effectue l’enregistrement de chaque « Serviteur Salarié » (« Bound Servant »), à condition toutefois qu’il soit employé par un de ses membres, et uniquement pour la durée de son emploi.? C’est par contre la Loge qui gère et contrôle les Apprentis-Entrés (« Enterit Prenteissis ») ainsi que les Maîtres ou Compagnons du Métier (« Maister or Fallow of Craft »). Cela semble même, d’après ses registres, être l’essentiel de son activité - enfin en conformité avec les « Statuts Schaw ».

Le mode de direction

Pour en terminer avec toutes ces recherches comparatives, il reste à évoquer le mode direction des Guildes et des Loges.

Six articles des « Statuts et Règlements » des « Wrights and Masons », six articles des statuts de 1598 et au moins la moitié de ceux de 1599 mentionnent ou définissent les instances dirigeantes des deux entités.? Les Guildes de Métier sont dirigées par des Diacres élus chaque année dans le cadre d’un système électoral mixte ou intervient très souvent la municipalité (le Diacre de Dunfermline est cependant également élu à partir d’une liste… fournie par la loge).?D’autre part, il peut y avoir plusieurs Diacres au sein d’une même Guilde, en fonction des métiers représentés. L’un de ces Diacres préside traditionnellement la Guilde, mais des alternances sont également possibles.

En termes de structuration interne, les loges Schaw sont théoriquement dirigées par un Surveillant élu chaque année, avec le consentement du Surveillant Général (ou qui doit obéir à ses directives). Mais un Diacre figure également dans cinq articles des « Statuts ».?Des Quartiers-Maîtres sont également cités pour la loge de Kilwinning, compte tenu de sa vaste territorialité. Dans les faits, ce Diacre, quand il est identifiable, se trouve souvent - mais pas toujours - être le même que celui qui préside la Guilde.

Jusqu’à ce point de la comparaison, seules les fonctions de réglementation du « Métier » étaient croisées - hormis la présence active, dans les loges « Schaw », des « Maîtres » de la Guilde, mais figurant en tant que « Compagnons et Maîtres » de la Loge.? La présence es-qualité - dans certains cas - du Diacre de la Guilde, comme à Dumfries, représente cette fois un véritable chevauchement au sein d’une des deux entités.? Il y a encore cohabitation, mais cette fois-ci institutionnelle, et au niveau des instances de directions. Pire, à Edimbourg - comme à Glasgow - la situation est fusionnelle, puisque il n’y a pas de « Warden » : C’est le Diacre « Maçon » de la Guilde qui préside la Loge

Donc, pendant tout ce 17e siècle, et même au delà, ces deux organisations - dont les taches majeures, dans toutes les dimensions évoquées, sont clairement proches voire identiques - existent en parallèle.? Elles semblent agir cependant avec des modalités et des implications différentes à la limite de la confusion, voire parfois au-delà !?Comment un tel schéma peut-il réellement fonctionner, et à priori sans trop de heurts ? ?Qu’est-ce que les loges « Schaw » apportent de plus que les Guildes de Métier ?? Pourquoi les loges « Schaw » ont-elles pu survivre à la mort de leur fondateur ?



L’ambition de Schaw, ce que les loges sont censées avoir de plus



La centration sur un seul métier

C’est l’intérêt le plus évident.? Les Guildes - et notamment celles du bâtiment - regroupent plusieurs métiers, (charpentiers, maçons, couvreurs, vitriers)… et des conflits existent entre ceux-ci :

Des conflits de préséance, avec en arrière plan des intérêts de représentation auprès de la municipalité : A Edimbourg, les maçons, malgré leur faible nombre, figurent - par tradition - en premier dans la liste des métiers des « Wrights and Masons ». Ce n’est qu’en 1690 que les charpentiers finissent par obtenir que leur Diacre préside en alternance les réunions, et il faut attendre 1721 pour que les autres métiers obtiennent - du tribunal - que leurs membres puissent être éligibles comme Diacres. Un vitrier est alors enfin désigné.

Des conflits liés à la concurrence : Lorsque les professions sont clairement séparées - ce qui n’est pas toujours le cas dans des bourgs de petite importance - des litiges fréquents se produisent lorsque les membres d’un des « Métiers » de la corporation usurpent le travail des autres. Un comble est atteint lorsque en 1689, les « Wrights and Maçons » d’Edimbourg décident d’employer un artisan charpentier pour poncer les murs leur local de « Niddry’s Wynd ». Ce dernier, n’étant pas incapable d’exécuter le travail, reçoit au final l’ordre de recruter… un maçon.

Et puis, les Guildes ont comme juges et arbitres suprêmes les Baillis et Prévôts de la ville, alors que les loges ne possèdent aucun pouvoir officiel. A ce titre, elles n’ont donc - théoriquement - à rendre compte de leurs décisions ni la corporation ni à la ville.? Elles présentent en conséquence l’avantage particulier de pouvoir permettre aux maçons de régler leurs conflits entre eux, et plus largement de tenter de réguler le « Métier » - notamment en termes de concurrence, d’emploi et de condition salariale - à l’interne.

Dans les Constitutions de 1723, James Anderson mentionne ce particularisme écossais :

« Leur tâche [au grand-maitre et au grand-surveillant] n’était pas seulement de régler les problèmes dans la confrérie, mais aussi d’écouter et juger toutes les controverses entre maçon et seigneur, de punir le maçon s’il le méritait, et d’imposer à tous des conditions équitables ».

Il le pointe à nouveau dans celles de 1738 :

« Son office [au Grand-Maître, à son Député, ou au Grand Surveillant] lui donnait le pouvoir de régler à l’intérieur de la Fraternité ce qui ne devrait pas venir devant les cours de justice ; c’était à lui que devaient faire appel le Maçon et le Seigneur, le Bâtisseur et le Fondateur lorsqu’ils étaient en désaccord, afin d’éviter de plaider ».

Cependant, quand il y a proximité dans un Bourg avec une Guilde, règne en général - malgré les natures différentes - une entente tacite, ou parfois la loge constitue une sorte de commission spécialisée.? La proximité peut même devenir fusionnelle lorsque la Guilde ne comprend que des maçons, comme c’est le cas à Dundee, et pratiquement à Glasgow.? Dans ces contextes locaux, les loges sont certes autonomes en théorie, et secrètes - mais de fait malgré tout sous contrôle… au minimum de part la fréquente présence en leur sein d’un Diacre (maçon ou non) de la corporation.? Ce qui ne les empêche pas - paradoxalement - d’affirmer haut et fort leur autonomie par rapport aux autorités locales (guildes, villes) … ?Le « Register House », premier « manuscrit » révélant le mot de maçon - et surtout la façon de le transmettre dans les cérémonies d’admission et de passage - indique qu’une loge n’est « véritable et parfaite » que si elle se réunit « à un jour de marche d’un Bourg, là où on n’entend ni un chien aboyer, ni un coq chanter », formule à succès toujours présente dans de nombreuses instructions... Quand aux archives d’Aberdeen (1670), elles précisent que la loge se tient « au milieu des champs ».



Un système permettant compromis et négociations

C’est le premier élément qui frappe, quand on compare les articles des « Statuts Schaw » portant sur la Réglementation du Métier avec ceux des Guildes du bâtiment (y compris en Angleterre à même époque), ou même avec les « Devoirs » ou « Obligations » contenues dans les « Old Charges » : Les « Statuts » ne sont pas exclusivement au service des intérêts des commanditaires ou des employeurs !?Bien sûr, on y trouve tous les compromis passés entre ces deux catégories sociales : Garanties de compétence, d’achèvement des ouvrages pour les uns - capacités de pouvoir contrôler l’offre, et de réguler la concurrence interne - et « étrangère », voire « sauvage » pour les autres…

Respect par tous des accords engagés !? Ces compromis sont difficiles à mettre en place - et à tenir (j’ai, à notre dernière tenue, évoqué les conflits aux 16e et 17e siècles, entre les municipalités et les Guildes du Bâtiment, notamment pour la fixation des prix, des salaires et le contrôle de l’embauche…) ?Il serait donc possible, à priori, de considérer les « Statuts Schaw» comme un dispositif supplémentaire de régulation des relations clients/fournisseurs, permettant à ces « partenaires » de compléter leur emprise sur le « Métier » - déjà développée au travers les Guildes reconnues. Viennent simplement se rajouter à ce club les employeurs royaux, qui en quelque sorte rentrent dans le cercle pour chapeauter l’édifice. Tout cela est probablement vrai, sauf qu’un nombre conséquent d’articles des « Statuts » - et là c’est inhabituel - porte sur des protections au bénéfice des « Bounds Servants » et des Apprentis.

Le souci de sécurité exprimé par l’article 18 en est un exemple type :

« Tous les maîtres, entrepreneurs d’ouvrages, veilleront bien à ce que les échafaudages et les passerelles soient solidement installés et disposés, afin qu’aucune personne employée audit ouvrage ne soit blessée par suite de leur négligence et de leur incurie, sous peine d’être privé du droit de travailler comme maîtres ayant la charge d’un ouvrage, et d’être condamnés pour le restant de leurs jours à travailler sous les ordres d’un autre maître principal ayant charge d’œuvre. »

Mais d’autres articles protecteurs pour ces catégories sont également présents, en particulier l’interdiction « de vendre son apprenti à un autre maître, ni de se décharger à prix d’argent, vis-à-vis de l’apprenti lui-même, des années d’apprentissage qu’il lui doit, sous peine d’une amende de 40 livres », ou celle d’accueillir des Cowans pour travailler, ou d’envoyer les aides travailler avec eux, sous peine d’amende.

Les « Règlements » des loges résultent donc apparemment - derrière leur élaboration par William Schaw -, de compromis, de négociations qui ont rassemblé tous les protagonistes du « Métier ».?Car de fait, la création de William Schaw est un système qui est censé, à différents échelons les regrouper tous : Employeurs et salariés de territorialités variables, allant des simples limites géographiques d’une Guilde locale à des espaces très étendus - comme c’est le cas pour les loges de Kilwinning et Dunfermline. Dans ces dispositifs figurent naturellement les membres de la Guilde - quand elle existe - ainsi qu’un lien, par l’intermédiaire de son Diacre, avec l’autorité municipale.? Mais figurent également des employeurs hors Bourg, ainsi que des salariés et des apprentis, même si leurs prérogatives sont souvent limitées.? L’ensemble du système est contrôlé par le Surveillant Général, Maître des Travaux du Roi, et donc principal commanditaire du pays. Alors Schaw patron social ? Poursuivons…



Une caisse de solidarité pour toutes les catégories de Maçons reconnus

Les six livres versés par l’apprenti à son « entrée » (à moins qu’il ne choisisse d’offrir un banquet pour tous les membres de la loge) ainsi que « la somme de dix livres en monnaie avec des gants d’une valeur de dix shilling » payés pour devenir « Compagnon du métier », ajoutés aux amendes diverses alimentent cette caisse de solidarité, étendue à tous les salariés membres - et non pas, comme celle des Guildes, réservée au seul bénéfice des « Freemen » et de leurs ayants droits.? L’importance de ce dispositif élargi est révélée en filigrane lors d’une série d’évènements graves survenus dans la loge d’Edimbourg entre 1688 et 1715.?Car en 1688, c’est un schisme qui amène la création de la loge de « Canongate et Leith, Leith et Canongate ». Et celui-ci semble bien dû - outre des conflits salariaux - à une « mauvaise » gestion des fonds du Surveillant de la loge de « Mary’s Chapel », Hugh Liddell.? Entre parenthèses, il faut remarquer que la Guilde des « Wrights and Masons » n’intervient pas, car « Canongate et Leith » ne fait pas partie de sa juridiction. Une deuxième crise grave - autour des années 1700 - amène la séparation entre les « Compagnons et Maîtres » membres de la Guilde, et ceux qui ne sont que « Servants », ces derniers décidant de constituer la loge des « Journeymen Masons ».?

Le conflit pour le contrôle et l’usage de la caisse est même porté devant la juridiction civile. La Guilde est alors amenée à se substituer à la loge, elle seule étant connue et reconnue par les pouvoirs municipaux.? C’est d’ailleurs à partir de cette période que la loge accepte pour la première fois en son sein les membres - non maçons - de la Guilde, ainsi que des dignitaires d’autres Guildes de « Métier », des dignitaires municipaux… et Jean Théophile Désaguliers en 1721.?En bref, la loge de « Mary’s Chapel » a bien failli mourir d’une gestion à sens trop unique de sa caisse de solidarité !?Ce qui montre l’importance de cet outil de secours mutuels dans le système « Schaw ».? Alors Schaw patron social ? Poursuivons…



Une réglementation pour toute l’Ecosse

C’est le quatrième point marquant.? Car l’organisation de William Schaw est censée concerner toute l’Ecosse : Les « Statuts et Ordonnances » doivent être observés par « tous les Maîtres Maçons de ce royaume », alors que les Guildes ne peuvent contrôler le travail que dans les villes où elles sont reconnues.? Les « Statuts et Ordonnances » sont donc théoriquement censés avoir autorité sur l’ensemble des maçons, y compris donc sur ceux des Guildes et des Bourgs.? Cette réglementation globale - et unique - présente alors évidemment l’avantage de pouvoir installer sur l’ensemble du territoire un outil de régulation des prix, des salaires, ainsi que de contrôle des embauches… inexistant hors bourgs, hors quelques privilèges accordés à des corporations par des suzerains locaux (Leith).? Et ceci peut être également un avantage très appréciable pour le responsable de la construction, des agrandissements et de l’entretien des châteaux et propriétés royales. Schwa un patron social ? Et bien apparemment… pas seulement !



Une véritable organisation avec des échelons locaux, régionaux, nationaux dans un cadre hiérarchisé.

Les loges « Schaw » présentent une forme de hiérarchisation entre elles : D’après les seconds Statuts Schaw Edimbourg est la première et principale loge d’Ecosse, Kilwinning (qui le conteste) la seconde, et Stirling la troisième. Des échelons régionaux existent - ou sont en cours de constitution - au niveau du Comté :

« Aucun maître ne prendra plus de trois apprentis dans toute sa vie, si ce n’est avec le consentement spécial de tous les surveillants, diacres et maîtres du comté où habite l’apprenti qu’il veut prendre en plus ». (Article 8 des statuts de 1598)?« Toutes les personnes appartenant au métier de maçon se réuniront en un temps et en un lieu dûment annoncés, sous peine d’une amende de 10 livres » [en cas d’absence]. (Article 20 des statuts de 1598)

Kilwinning, seconde loge d’Ecosse, a déjà une dimension régionale : Elle est habilitée dans les seconds « Statuts » à avoir « son surveillant présent à l’élection des surveillants dans les limites des territoires du Nether Ward de Clydesdale, Glasgow, Ayr et Carrick, avec pouvoir pour les dits surveillant et diacre de Kilwinning, quand ils le désireront, de convoquer les surveillants et diacres des dits territoires en cas d’affaire d’importance et de les juger ».? Les archives de la loge d’Edimbourg indiquent également la tenue d’une réunion régionale en 1600, à St Andrews, groupant outre la loge locale, celles de Dunfermline, Dundee, et Perth.

James Anderson - mais uniquement dans les « Constitutions de 1738 » - précise à son tour qu’il y eut en Ecosse jusqu’en 1640, « un Grand Maître choisi en Grande Loge et approuvé par la couronne… ayant des députés dans les villes et les Comtés [selon la tradition des anciens Maçons Ecossais, et attestée par leurs archives] ». (Dans le texte des « Constitutions », il ne peut s’agir de « Sinclair », Anderson se comporte comme si les statuts « Schaw » avaient été ratifiés.)

Ce qui corrobore - en tenant compte de l’insistance récurrente d’Anderson à assimiler toute l’histoire du « Métier » au modèle de la Grande Loge d’Angleterre - l’idée d’un dispositif global, local et régional, contrôlé par le Surveillant Général, Maître des Travaux du Roi.

L’échec de Schaw, ce que les loges ont en moins, ce qu’elles n’ont pas réussi



Une réglementation du « Métier » impossible à appliquer

Le véritable échec de William Schaw, c’est que les objectifs premiers des « Statuts » - liés à la réglementation du « Métier » - n’ont pratiquement jamais été mis en application. On peut à la limite les qualifier de morts/nés.? Car tout l’édifice mis en place repose sur leur institutionnalisation par l’apposition du Sceau privé du roi Jacques VI.? William Schaw est d’ailleurs certain de cet accord royal. Il l’affirme quasiment dans les « Statuts » de 1599 : … dès que l’occasion se présentera, nous obtiendrons l’autorité de Sa Majesté pour la confirmation des privilèges des loges et pour les pénalités des personnes désobéissantes et perturbatrices du bon ordre. Dès maintenant j’ai jugé bon de signifier (ce statut) à tous les frères de la loge en attendant la prochaine occasion. En témoignage de quoi j’ai souscrit les présents de ma propre main, à Halyrudhous, le 28e jour de décembre de l’an de grâce 1599. « William Schaw, Maître des travaux, Surveillant des Maçons. »? Et pourtant, il est très probable qu’il y a eu refus du roi, car dès 1602, William Schaw accepte - ou peut-être même suscite - une alternative organisationnelle radicalement différente, mais visant aux mêmes buts de réglementation du « Métier » : Il signe la supplique « Sinclair ».

Pourquoi n’a-t-il pas obtenu ratification des « Statuts ?? Nulle explication à l’attitude négative de Jacques VI n’est connue. Mais :

Il est probable que le roi n’a pas voulu se heurter à l’autorité des Bourgs, comme le prouvera par la suite la farouche opposition de la municipalité de Dundee (appuyée par la convention des Bourgs royaux) auprès de Charles 1er, à propos de la demande de reconnaissance royale de la Guilde locale des maçons et charpentiers.

Il est également probable, que bon nombre de Guildes du bâtiment ne débordent pas forcément d’enthousiasme devant des créations officielles de loges de maçons… et encore moins à ce que des privilèges institutionnels leurs soient particulièrement accordés.

Enfin, la reconnaissance officielle des loges n’aurait sûrement pas manqué, compte tenu de la personnalité de leur fondateur - et notamment de son catholicisme avéré - d’amener, malgré les assurances de circonstance apportées dans les « Statuts » de 1599, des réactions de la « Kirk », voire des interrogations religieuses (en particulier sur le concept « d’art de la mémoire »), comme il y en aura plus tard autour du « mot de Maçon ».

Et puis, le décès de Schaw en 1602, suivi du départ de Jacques VI en Angleterre pour succéder à Elisabeth 1ère, le désintérêt des ses successeurs pour les « Statuts et Ordonnances », vont évidemment en compliquer sérieusement toute mise en application.

Avec de faibles moyens de coercition et ne pouvant faire appel à l’autorité royale, les capacités de régulation du « Métier » des loges « Schaw » sont donc extrêmement faibles, voir inexistantes.? Elles ne peuvent en conséquence rivaliser avec les Guildes, qui, elles, disposent de l’autorité municipale.? Elles sont d’autant plus fragilisées qu’existe même un risque réel de condamnation - d’interdiction de toutes réunions - si les autorités civiles apprennent qu’existent des « loges » de maçons qui tentent d’exercer sur le « Métier » une juridiction dépourvue de tout droit légal.

Est-ce une conséquence directe si, dans les faits, non seulement les loges, dont le territoire d’influence correspond à peu près à ceux des Guildes, mais également celles dans le territoire desquelles n’existe aucune corporation du bâtiment reconnue - ont relativement peu tenté de réglementer le « Métier ».? Est-ce une conséquence liée à la précédente, si - pour le coup - le nombre de leurs réunions annuelles demeure relativement faible : Deux ou trois par an, si l’on consulte les registres de la loge d’Edimbourg. Même en réévaluant ce nombre à la hausse, pour tenir compte des pertes d’archives, il semble très difficile en si peu de réunions de vouloir réellement - et de pouvoir - réglementer le « Métier » de maçon …?Enfin, au niveau des les loges « hors Bourgs », arriver même à réunir un nombre conséquent de membres - parfois éparpillés sur des territoires importants - relève évidemment de la performance, et l’absentéisme atteint parfois des sommets, comme à Kilwinning, où, en 1693, neuf maçons présents mettent à l’amende cinquante absents !

Le système - original par rapport aux Guildes - susceptible de permettre compromis et négociations - probablement pour les mêmes raisons - ne fonctionne pas plus : Peu ou pas de concertations internes sur la réglementation, pas de traces de négociations « sociales ».

Pire, la gestion de la caisse de solidarité semble de plus en plus confisquée au profit des « Compagnons et Maîtres » employeurs. Le summum est atteint, lorsqu’à Edimbourg, en 1681, à Aitchison’s Haven, Dunfermline, en 1700, des Apprentis refusent de passer « Compagnons et Maîtres », et que des mesures coercitives - menaces sur leur emploi, fortes amendes - sont prises pour tenter de les y forcer, un délai de deux ans ou trois ans maximum étant fixé pour qu’ils accomplissent leur changement de statut.

Pourquoi refusent-ils ? ?Et bien :

Parce qu’il faut pour cela payer un droit.

Parce que ce changement de statut ne leur donne même pas la capacité de co-gérer la caisse de solidarité.

Parce que l’ascenseur social ne fonctionne pas, et qu’ils ont parfaitement compris qu’ils n’ont qu’une chance infinitésimale - faute d’argent, de relations, et de par le verrouillage exercé par les titulaires - d’intégrer les Guildes locales comme « Freemen ».

Parce qu’ils constatent l’embauche par les Maîtres-Employeurs de « Journeymen » non membres de la loge, qu’ils ont enfin le sentiment que le « contrat social » à priori porté par la loge est devenu caduque, et ne les protège plus !



Le système organisé et hiérarchisé.

Le système « Schaw » aboutit également à un échec dans le domaine de la mise en place d’une organisation nationale, par ailleurs difficile à imaginer et à mettre en œuvre au niveau des Guildes du bâtiment - de part leurs liens aux terroirs, ainsi que par la diversité des métiers représentés. La « Première et Principale loge d’Ecosse », Edimbourg ne tente pratiquement jamais d’user de ses éventuelles prérogatives vis à vis des autres loges : Elle ne met en avant ses droits qu’à l’occasion des scissions qui se produisent au sein de son territoire (« Leith and Canongate » en 1688, « Journeymen Masons » en 1708/1715).

La loge de Kilwinning, bien que forte d’un indéniable prestige, antérieur aux « Statuts Schaw et en dépit de ses grandes prétentions à l’échelon national agit également très peu :

Elle sert souvent de référence lorsque des loges essayent de faire valoir une ancienneté ou une légitimité, comme Dumfries, Kirkcudbright, ou même Perth (Scone).

Elle répond favorablement en 1677 - après avoir été sollicitée - pour adouber la loge de « Canongate Kilwinning », qui cherche avant tout à se démarquer vis à vis de la loge de « Mary’s Chapel »… et de ses dirigeants.

Elle tente apparemment une fois, en 1710, vis à vis de la loge d’Hamilton, de faire valoir - en terme de redevances à payer - ses prérogatives territoriales.

Mais en règle générale, les loges « Schaw » n’ont pas de relations entre elles.? Aucune trace d’activité de structure régionale n’est signalée après la mort de William Schaw.? Enfin, les Maîtres des Travaux qui lui succèdent - notamment les frères Alexander - ne manifestent que peu d’intérêt pour les loges, sauf quand ils essaient - entre autres moyens - de s’appuyer sur elles pour contrecarrer la deuxième supplique St Clair de 1624… Où quand ils tentent, en 1635, de les transformer en « Compagnies » régionales regroupant hors des Bourgs l’ensemble des métiers du bâtiment, dans le cadre d’une forme différente d’organisation - les « Statuts Falkland » - au sein desquels ils s’octroient d’ailleurs un statut dirigeant, assorti d’avantages pécuniaires certains. Dans un tel contexte, face à tous ces conflits et déchirements qui auraient pu être mortels - notamment à propos du contrôle de la caisse de solidarité - contexte aggravé par une perte de substance réelle, les loges - ne serais-ce que par manque d’intérêt - auraient normalement du disparaître. Tout cela aurait du aboutir à un naufrage !



Leur « vrai » succès, au final

Et pourtant, si même leur fondateur a pu les croire morts nées, de nombreuses loges « Schaw » se sont pourtant crées, ont survécu, et se sont développées. Elles ont même apporté, lors de la création - sur le modèle anglais - de la Grande Loge d’Ecosse, un authentique maillage territorial de loges se réunissant régulièrement - système inexistant en Angleterre avant le 18e siècle. Dépassant le court terme, elles ont - en plus - apporté sur le moyen et le long terme des contenus qui ont servi de fondation à la maçonnerie moderne.

Grâce à la mise en place de quelques concepts fondamentaux :



La Caisse de secours mutuels

Il semble plus que probable que ce dispositif d’abord resserré sur les maçons - mais plus ouvert que celui des Guildes, quand à ses composantes bénéficiaires - a constitué dès l’origine un pilier essentiel dans l’intérêt présenté par les loges « Schaw », et qu’il a largement contribué à les empêcher de péricliter. Il a par la suite encore été élargi aux artisans non « tailleurs de pierres », qui ont intégré les logés. A moyen et long terme, bien évidemment, ce dispositif mutualisé va être promis à un grand succès dans la franc-maçonnerie, bien après la disparition des Guildes de Métiers… et jusqu’à aujourd’hui, via la bienfaisance et les troncs hospitaliers. Et puis, paradoxalement, la « crise » liée à la gestion de la caisse à Edimbourg a permis de fonder de nouvelles loges - par scission - phénomène maçonnique qui se reproduira largement par la suite…



Le « Mot de maçon »

C’est probablement, à court terme, le deuxième pilier qui a permis aux loges « Schaw » de continuer à se développer.? Les premières traces du « Mot de maçon » apparaissent en 1630, peu de temps après leur création.? Mais ses traces commencent à se densifier après la non-ratification royale des « Statuts », après l’échec des suppliques « Sinclair », après l’échec des « Statuts » Falkland ».? Le « Mot de maçon », communiqué lors des réceptions au sein des loges, devient - de fait - le seul système, hors Bourgs - où tout le monde se connaît - qui permet de réguler la profession pour les employeurs, et d’obtenir de l’embauche pour les salariés.? L’engagement écrit de l’employeur d’Alexander Robeson à le faire entrer dans une loge au bout de trois ans - comme spécifié en 1685 dans son contrat - c’est avant tout pour ce dernier l’assurance de recevoir le « mot de maçon ».?

A moyen et long terme, le « Mot de maçon », les « mots, signes, attouchements », déclinés dans tous les « cathéchisms », dans toutes les instructions à chaque grade, deviendront, au niveau des cérémonies, un socle majeur de la transmission traditionnelle maçonnique…



Les pompes, les cérémonies secrètes

Le « Mot de maçon » est communiqué lors d’une cérémonie secrète, qui, comme le dévoile le « Register House » (1696), comporte un certain nombre de phases solennelles et impressionnantes.? Hors, les pompes religieuses sont bannies par le calvinisme, y compris au niveau des corporations professionnelles. Dans les loges, les « hommes du métier » peuvent avoir le sentiment de retrouver des formes rituelles et cérémonielles, des dimensions spirituelles, qui leur manquent, et - qui plus est - peut-être jugées inoffensives par la « Kirk ». ?Par la suite, l’histoire légendaire fouillée du « Métier » - issue des « Old Charges » anglaises - avec l’architecture comme summum des connaissances humaines, attire la « Gentry ».?

Un certain nombre de ses membres, ainsi que quelques érudits, recherchent le côté « opératif » des humbles artisans censés posséder - même s’ils ne s’en rendent pas compte - un « savoir » inconnu. Les loges peuvent donc également être pour ces derniers un moyen de poursuivre la recherche de la sagesse perdue (dont l’Hermétisme) sagesse peut-être cachée - par la vertu de l’obligation du secret - dans les cérémonies, l’histoire légendaire… ou « l’Art de la mémoire ».?La franc-maçonnerie saura, à long terme, faire un usage plutôt immodéré de ces ingrédients : Les pompes, les cérémonies se multiplieront, et les quêtes variées, via diverses formes d’ésotérisme, disposeront d’un très bel avenir devant elles.



Le système des grades

A court terme, malgré les difficultés constatées à la fin du 17e siècle, le système à deux niveaux, « Apprenti-Entré » et « Compagnon et Maître », permet une mixité des statuts dans une même organisation, ainsi que la transmission lors de cérémonies séparées des mots et gestuelles liées au grade, ainsi qu’un véritable espoir d’intégration et de promotion sociale.? Le succès de ce système à deux grades - à moyen terme - c’est qu’il est repris au niveau de sa forme par la Grande Loge de Londres, au tout début de sa création. Celle-ci va ensuite l’inverser dans les années 1730 (Réceptions du duc de Lorraine et du Prince de Galles comme « Apprenti et Compagnon », puis « Maître »), puis le faire encore évoluer en adoptant officiellement en 1738 le système moderne à trois grades distincts, qui avait d’ailleurs déjà fait son apparition en Ecosse vers 1700.

En conclusion, si les Guildes du bâtiment, et bien sûr notamment celles des maçons ont bien d’une certaine façon, servi d’œuf philosophale pour les loges « Schaw », ces dernières, grâce à leur structuration particulière, à leurs contenus originaux, ont à leur tour servi de matériau premier à la fondation anglaise, puis continentale de la maçonnerie spéculative contemporaine.

Si l’héritage laissé par William Schaw - héritage qu’il n’avait probablement pas lui-même imaginé - s’est donc révélé d’une très grande richesse pour la maçonnerie, son nom et ses « Statuts » resteront longtemps dans l’obscurité, y compris pour les constitutionnalistes de 1723 et 1738. Suprême affront, dans les Constitutions de 1738, c’est un William Sinclair - ancêtre de ceux des « Chartes » - qui est mentionné, mais comme Grand-Maître de Jacques II Stuart : « Il bâtit la chapelle de Roslin près d’Edimbourg, chef d’œuvre du meilleur gothique en 1441 ».

Car il semble bien que James Anderson, dont le père était pourtant secrétaire de la loge d’Aberdeen et Jean Théophile Désaguliers, fait « bourgeois » en 1720 par la municipalité de Dunfermline, et reçu en 1721 membre de la loge d’Edimbourg, aient effectivement tout ignoré de William Schaw.